DURAND DE SAINT-POURÇAIN (entre 1270 et 1275-1334)
Dominicain malmené, pour ses prises de position antithomistes, par son ordre officiellement rangé derrière l'Aquinate, Durand, né à Saint-Pourçain (actuellement Saint-Pourçain-sur-Sioule, Allier), est en 1303 au couvent parisien des Frères prêcheurs. Élève de Jacques de Metz, lui-même dominicain non rallié au thomisme, il commente les Sentences à Paris en 1307 et 1308, commentaire pour lequel on lui reproche déjà de s'écarter de saint Thomas et qu'il remanie en 1312-1313, alors qu'il vient d'être reçu magister. De nouveau pris à partie, il est nommé lector curiae à Avignon ; il séjourne au palais pontifical de 1313 à 1317. Pendant cette période, les thomistes orthodoxes dressent une liste de 235 thèses pour lesquelles il est accusé de se séparer du Docteur angélique. Évêque de Limoux en 1317, avant d'occuper le siège du Puy en 1318 et celui de Meaux en 1326, il rédige, au cours de ses dix premières années d'épiscopat, une troisième version de son Commentaire des Sentences, dans laquelle il se rapproche beaucoup de la première. Il meurt à Meaux, un an après la condamnation, par une commission pontificale, de son traité De visione Dei quam habent animae sanctorum ante judicium generale. Entre-temps, toutefois, ses fonctions épiscopales et l'estime de Jean XXII, à qui il les devait, l'ont mis à l'abri de ses censeurs, lassés en quelque sorte de sa ténacité, sinon impressionnés par le caractère passionné de son activité intellectuelle. Il a néanmoins participé, au cours de cette période, à l'examen du Commentaire des Sentences de Guillaume d'Ockham, dont un certain nombre d'articles sont alors condamnés.
On a d'ailleurs souvent vu en Durand un précurseur d'Ockham, mais il s'écarte de celui-ci par une thèse essentielle de sa noétique qui se rattache à Henri de Gand, à travers Jacques de Metz, et qui fait penser à la distinction formelle de Duns Scot : pour Durand, en effet, la relation est un mode de l'être, esse ad aliud, irréductible à l'esse in se de la substance et à l'esse in alio de la qualité ; ce mode, qui « incline » l'être vers un autre, se distingue réellement du sujet où cette relation est fondée sans pourtant composer avec lui comme une chose avec une autre. Le non-conformisme de ce dominicain évoque toutefois Guillaume d'Ockham par le travail de simplification qu'il entreprend par rapport aux distinctions ou entités des grands systèmes du xiiie siècle, notamment celui de Thomas d'Aquin : ainsi rejette-t-il la distinction entre essence et existence, qui ne sont que deux « modes de signifier », celles qu'on établit à l'intérieur de l'intellect et du vouloir, le concept universel envisagé comme forme dans l'âme, les distinctions entre espèces sensibles et espèces intelligibles, entre intellect patient et intellect agent.
Pour Durand, on ne voit ou ne connaît que des couleurs ou des choses, non des espèces ; et le « sentir » ou le « comprendre » n'ont pas à faire « composition réelle » avec le sens ou l'intellect. Supposer qu'il en est ainsi revient à admettre la possibilité d'une séparation, au besoin par la puissance divine ; or il ne peut y avoir ni « sentir » sans le sens ni « comprendre » sans l'intellect ; en outre, celui-ci étant forme, le « comprendre » serait forme d'une forme, ce qui est impossible. L'intellect n'est pas plus parfait quand il connaît qu'avant de connaître. Il semble par là que Durand, rejoignant l'interprétation franciscaine de l'activité de l'esprit selon saint Augustin, tienne à marquer que l'âme est une unité indivisible, essentiellement active, et à refuser la passivité que saint Thomas et les avicennisants attribuent aux sens et à l'intellect. La connaissance, pour[...]
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Écrit par
- Charles BALADIER : éditeur en philosophie, histoire des religions, sciences humaines; ancien élève titulaire de l'École pratique des hautes études
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