DÜRER, CRANACH, HOLBEIN. LA DÉCOUVERTE DE L'INDIVIDU : LE PORTRAIT ALLEMAND VERS 1500 (expositions)
On sait à quel point la peinture allemande du premier tiers du xvie siècle représente un moment exceptionnel de l'histoire de l'art. Simultanément, Dürer, Grünewald, Baldung Grien, Cranach, Altdorfer, Holbein, pour ne citer que quelques-uns d'entre eux, nous ont donné des œuvres de premier plan dans la création européenne de leur temps. À côté de la continuation de l'iconographie religieuse, soit traditionnelle, soit au service de la Réforme, et de thèmes profanes comme les scènes de chasse ou les œuvres à sujets issus de la mythologie antique, l'art du portrait se trouve profondément renouvelé. Il est fortement influencé par le néo-platonisme venu d'Italie et les spéculations qui relient le caractère d'un individu à des aspects du cosmos (les éléments, les saisons, les planètes, les vents...), mais aussi à la physiologie humaine telle qu'on la comprend depuis l'Antiquité.
Si les peintres allemands de la génération de Dürer (1471-1528) se nourrissent des idées venues du sud des Alpes, ils ne retiennent pas du portrait italien son choix prédominant de la représentation de profil, à la manière des médailles antiques. Ils tirent plutôt les leçons du portrait flamand de trois quarts, sans reprendre cependant le principe de ces diptyques qui associaient le commanditaire en prière sur un volet tourné vers la Vierge à l'Enfant peinte sur l'autre moitié de l'œuvre. Se développe ainsi en Allemagne l'art des portraits isolés, parfois aussi des pendants représentant l'homme et son épouse, et dans quelques cas celui des portraits doubles où tous deux sont réunis sur la même composition.
Le génie des trois noms autour desquels l'exposition s'est organisée est incontestable. Dans le portrait de son père (1497), Dürer réussit le tour de force de concilier l'intimité et la monumentalité. La personne est assumée dans son individualité, sans idéaliser en rien les traits du visage, mais dans une retenue toute en silence et en plénitude. C'est bien cette impression de présence qui se dégage de la série de portraits peints par Dürer, et réunie au Kunsthistorisches Museum de Vienne (31 mai-4 septembre 2011), puis à la Kunsthalle de la Hypo-Kulturstiftung de Munich (16 septembre 2011-15 janvier 2012). La véracité des traits est associée à un regard à la fois interrogateur et serein.
Chez Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553), les portraits de commande nous font passer de la somptuosité des princes-électeurs de Saxe à l'austérité des réformateurs : Mélanchthon aux traits ascétiques, Luther au visage plus plein (1532). Les œuvres d'expression vraiment personnelle sont moins fréquentes. Le portrait conservé à Kronberg, autrefois attribué à Dürer, et où l'on propose désormais de voir la main de Cranach, est un des premiers, vers 1500, dans lequel un vaste paysage se déploie à l'arrière-plan, derrière l'homme vu en buste, alors que c'est un fond uni qui est choisi dans la plupart des portraits allemands de ce temps.
Autant Dürer et Cranach ont excellé dans d'autres genres, autant Holbein le Jeune (1497-1543) est vraiment l'homme du portrait, d'abord dans ses années bâloises, puis en Angleterre où il travaille jusqu'à sa mort en 1543. Que ce soit dans la splendeur vestimentaire de Jane Seymour (vers 1536), un peu raide dans sa pose officielle, ou dans l'image beaucoup plus libre du Jeune Homme de la National Gallery of Art de Washington (vers 1520-1530), la précision vivante du dessin construit la composition et en anime les effets. Comme chez Dürer, derrière l'apparence d'un visage, c'est la signification profonde de l'être qui est recherchée.
On ne saurait restreindre les portraits allemands de la Renaissance à ces trois géants, et l'exposition a su les entourer de ceux qui furent[...]
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Écrit par
- Christian HECK : professeur émérite d’histoire de l’art à l’université de Lille
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Média