DURKHEIM (ÉCOLE DE)
Société et individu
Au moment où Durkheim inaugure un nouveau courant de sociologie « scientifique », le monde occidental passe par une phase de grands bouleversements qui trouvent leur origine dans l'industrialisation, l'extension du mode de vie urbain, la constitution de vastes empires coloniaux, la généralisation du salariat, l'exacerbation des nationalismes, etc. Il en résulte une grande instabilité des corps sociaux, engendrée notamment par les tensions qui règnent entre leurs diverses composantes. Durkheim est frappé par l'augmentation du nombre de comportements qu'il qualifiera pendant quelque temps (jusqu'en 1902) d'« anomiques » (en dehors des lois), avant d'y voir des lacunes dans l'intégration sociale, laquelle constitue, selon lui, le but pratique de la sociologie.
En effet, il assignera à la science sociale naissante la tâche de définir un cadre institutionnel qui garantisse aux individus l'exercice correct (et humainement satisfaisant) de leur nécessaire solidarité. Ce cadre, il le concevra sous les espèces d'un socialisme de type particulier reposant sur une démocratie définie comme un « système politique par lequel la société peut produire une conscience d'elle-même dans sa forme la plus pure ». Ce qui implique un État suffisamment fort pour intégrer la majorité des citoyens dans un effort commun de défense de ladite solidarité, mais pas à ce point fort qu'il puisse exercer un contrôle illimité sur la vie sociale et économique. D'où la nécessité d'instituer des groupes secondaires, et en particulier des « corporations », sortes d'unions professionnelles qui, à la différence des syndicats, dont l'action est de nature conflictuelle, devraient fonctionner en tant que collèges électoraux intermédiaires, ce qui ferait d'eux un élément essentiel dans l'indispensable médiation entre l'individu et l'État. Cette conception corporatiste a conduit certains critiques de Durkheim, bien que celui-ci ait été proche de Jaurès, à voir en lui un penseur réactionnaire ayant pu alimenter involontairement des doctrines fascisantes.
C'est dans son premier ouvrage, De la division du travail social(1893), que Durkheim exposera sa théorie de la solidarité, laquelle passe du stade « mécanique » au stade « organique », en relation avec la croissance de la division du travail. L'augmentation de la « densité morale », selon ses termes, favorise l'émergence d'un individu de plus en plus jaloux de son autonomie. Pour préserver à la fois le caractère organique de la solidarité sociale et l'aspiration normale de l'individu à l'autonomie, il prône une éducation appropriée, laquelle est essentiellement de nature morale, dans la mesure où il s'agit d'engendrer chez les plus jeunes un attachement au groupe, par lequel « l'individu découvre la nécessité du dévouement en même temps que de la discipline » (Raymond Aron). Le rôle de l'éducation est donc à la fois de fournir aux citoyens les outils dont ils ont besoin pour occuper une place dans le système de division du travail et de les intégrer dans le mode de solidarité organique au stade de développement qui est le sien dans la société moderne.
Celle-ci a besoin de l'autorité propre à imposer les contenus de la conscience collective, conçue non comme produit, mais comme matrice des consciences individuelles. Mais elle doit aussi veiller à permettre à l'individu d'accomplir sa personnalité. Si la société, envisagée comme « milieu », détermine le système d'éducation, celui-ci, à son tour, exprime une société et répond aux exigences qui sont les siennes, tout en perpétuant les valeurs sur lesquelles elle se fonde. Pour Durkheim, la notion même de société est double : elle signifie tantôt le milieu ou l'ensemble social observé de[...]
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Écrit par
- Claude JAVEAU : professeur à l'Université libre de Bruxelles
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