Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

THOMAS DYLAN (1914-1953)

Le jeu verbal et l'angoisse existentielle

Naissance, sexualité et mort sont les principaux thèmes des poèmes que Thomas écrit avant la guerre. Le premier est souvent abordé sous son aspect brutal, obstétrique, mais se prolonge, par le biais de rêveries sur la vie prénatale, jusqu'au moment même de la conception, rejoignant ainsi le thème de la sexualité. La mort, elle, provoque chez le poète moins l'effroi devant l'arrêt des fonctions vitales ou la corruption du tombeau qu'une permanente angoisse, à demi exorcisée par la bouffonnerie et les jeux de mots, devant le déclin progressif d'un être voué à la destruction finale. Ainsi se soudent fortement, en une histoire unique (qui a sa réplique au niveau cosmique, puisque l'univers est au pouvoir de ce même destin dans le poème « The force that through the green fuse drives the flower... », par exemple), des thèmes dont chacun, pris isolément, n'est évidemment pas propre à la poésie thomasienne. Se dévoile alors, en dominante sous-jacente et unificatrice, le thème du temps destructeur qui sclérose et anéantit depuis le commencement du monde comme depuis la naissance de chaque être particulier ; il donne lieu non à un lyrisme conventionnel qui déplorerait la fuite des heures, mais à de riches et curieuses constellations d'images dans lesquelles dominent les substances capables de se liquéfier ou de se durcir (non seulement l'eau et son altération en neige ou en glace, mais encore le miel, la cire, le goudron) et, de façon très générale, toutes celles qui connaissent des états divers et peuvent donc connoter le changement. Le symbolisme de Thomas, surtout dans les trois premiers recueils (mais les échos s'en prolongent au-delà), ne va pas sans une grande ambiguïté. Celle-ci a notamment sa source dans la valorisation constante de l'élément marin : signe de la vie prénatale bienheureuse (lorsque le fœtus à l'abri du temps ignore le multiple et n'a qu'une vague prémonition de son douloureux destin), il est également associé au thème de la naissance (le jaillissement hors des océans est l'analogue de la venue au monde), mais il s'impose aussi comme symbole de mort, soit que l'existence prenne l'apparence d'une navigation périlleuse, soit que le poète imagine la destruction ultime comme une plongée ou comme un naufrage dans quelque mer des Sargasses.

Du lexique de l'anglais l'auteur exploite à plein les sonorités, qu'il agence en un réseau complexe d'allitérations et d'assonances prolongées souvent bien au-delà du vers ; il en utilise aussi toutes les ressources sémantiques, faisant apparaître ici tel mot dans un contexte qui, superficiellement, invite le lecteur à en accepter tel sens, mais le réintroduisant plus loin avec une signification autre ou, de manière plus déroutante, choisissant un autre vocable synonyme du premier pour un sens auquel la précédente occurrence de celui-ci ne faisait pas immédiatement songer. Bref, le jeu auquel se livre Thomas montre assez l'importance qu'il attache conjointement à la texture phonique du mot et aux latences sémantiques (faits d'homonymie et de polysémie) dont il est chargé, mais il révèle également combien le poète demeure sous l'empire d'associations obsédantes qui, par-delà les manipulations apparemment gratuites que subit le vocabulaire, laissent se réinstaurer l'angoisse du temps et de la mort. À cet égard – et l'impression est renforcée par les méandres d'une syntaxe souvent personnelle, qui crée parfois des mots composés à la limite de la transgression grammaticale, favorise elle aussi l'ambiguïté et contribue à l'hermétisme de maints passages –, il y a congruence quasi parfaite entre le traitement que Thomas impose à la langue, l'engendrement des images en un perpétuel conflit et l'auto-analyse à laquelle l'auteur avouait s'être complu tout en ayant par ailleurs l'ambition de communiquer[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégé d'anglais, docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-Sorbonne

Classification

Média

Dylan Thomas - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Dylan Thomas

Autres références

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par , , , , , et
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    ...find ») fait pièce au « tas d'images brisées » du Waste Land. Plus populaire, parce que correspondant à l'image sacrificielle du poète, Dylan Thomas a tressé dans ses Deaths and Entrances (1951) les mailles d'une langue lyrique et sensuelle, habile à prendre par l'ouïe les images. ...