EAU DU MANTEAU TERRESTRE
Le rôle de l'eau dans la dynamique du manteau
La tectonique des plaques donne le cadre dans lequel s'organise le cycle « interne » de l'eau terrestre. Mais le lien entre l'eau et la tectonique des plaques est encore plus profond, et l'eau joue un rôle central dans la dynamique interne de la Terre. Bien que présente en quantité limitée dans le manteau, l'eau affecte profondément les propriétés des roches, en premier lieu leur rhéologie, c'est-à-dire leur capacité à se déformer et à fluer sous l'effet des forces (notamment les forces de flottabilité qui entraînent les mouvements de convection). Les expériences de laboratoire montrent que l'olivine hydratée est ainsi près de cinq fois plus déformable que l'olivine anhydre. De plus, une spécificité cruciale de la rhéologie des roches terrestres est qu'elle permet une forte localisation des déformations au niveau des frontières de plaques. Cela n'est pas possible pour un fluide newtonien et s'explique par les phénomènes d'endommagement : les zones préalablement déformées sont moins résistantes à la déformation et tendent à la concentrer, devenant ainsi encore plus fragiles, et concentrant d'autant plus la déformation. Se combine à cet effet de concentration un mécanisme de « réparation » qui tend à annuler progressivement l'effet des déformations anciennes, et qui permet périodiquement le réarrangement de l'organisation des mouvements de la tectonique des plaques. Les modèles actuels génèrent ces deux mécanismes complémentaires à partir des changements de taille de grain des cristaux. Il s'avère que l'eau (en interaction avec les effets de température et les taux de déformation) est un ingrédient indispensable pour obtenir les changements de taille requis. Elle favorise à la fois la concentration de la déformation en accélérant la diminution de la taille des grains déformés, et elle accélère la croissance des grains en l'absence de déformation. Sans eau, ces changements ne seraient pas assez rapides (par rapport à l'échelle de temps des phénomènes géologiques), et la dynamique interne de la Terre prendrait la forme d'un manteau convectif sous un couvercle stagnant. C'est parce que l'eau est absente sur Vénus en raison des températures trop élevées que la tectonique des plaques ne peut s'y développer et que la planète reste figée dans le régime qualifié de couvercle stagnant.
Au-delà de la rhéologie, l'eau affecte l'ensemble des propriétés de transport des roches, par exemple la conduction thermique et les processus de diffusion chimique, ce qui joue un rôle crucial dans les échanges chimiques au niveau des zones de subduction notamment. L'eau change également les températures de fusion, ce qui explique, par exemple, comme nous l'avons vu, le magmatisme des zones de subduction. Enfin, l'effet de l'eau sur les vitesses de propagation des ondes sismiques est du même ordre de grandeur que celui de la température. Par exemple, un changement de 1 p. 100 d'eau en poids dans la ringwoodite a le même effet sur ses propriétés élastiques qu'un changement de température de l'ordre de 500 0C. Il est donc indispensable de prendre en compte l'effet de l'eau pour interpréter les modèles de tomographie sismique dans la zone de transition. Or, ce sont ces modèles qui permettent d'imager le passage éventuel des plaques en subduction dans le manteau inférieur, ce passage s'accompagnant d'un transfert d'eau entre les deux manteaux, couplant une nouvelle fois cycle de l'eau et dynamique interne du globe.
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Écrit par
- Édouard KAMINSKI : professeur des Universités, Institut de physique du globe de Paris, volcanologue
Classification
Médias