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ÉCHEC

Échec et projet

La névrose d'échec elle-même, dans son projet aliéné, témoigne d'une intention obstinée. La guérison, Carl Gustav Jung l'a bien vu, ne consiste pas à supprimer la névrose, mais à la convertir. L'échec, occasionnel ou répété, est l'envers d'une émergence confuse que la psyché s'obstine à nier, mais qui, sans cesse, la traverse. La névrose parfois dévoile son sens – en filigrane ou à travers le décalage du désir aliéné et du projet vital. Aussi le monde nous renvoie-t-il en miroir nos fatalités intérieures. Ceux qui disent : « Ces choses-là n'arrivent qu'à moi », ont bien raison. La fatalité qui les poursuit leur est simplement intérieure ; elle trie, élève, privilégie, dans le foisonnement des chances, les chances qu'il faut. Le donné matériel existe, certes, plus ou moins conforme au désir et au projet du sujet, mais, dès qu'il s'agit du bilan d'un vécu particulier, il s'avère plus fécond, sinon seulement plus économique, de partir du pouvoir de choix inconscient du sujet qui fait de « ses chances » une malchance, mais, parfois aussi, de l'obstacle surmonté, une voie. Ainsi dans ce conte de fées, où la classique princesse est poursuivie par une non moins classique Carabosse du nom de Guignon, se dévoile naïvement le pouvoir de conversion du sujet en face des choses. Au début tout va mal, les fleurs se fanent, la pluie tombe et le regard des hommes se détourne. Mais un jour où, comme toujours, le carrosse est en panne dans la tempête, la petite princesse découvre sous la roue un crapaud épargné et s'écrie : « Quelle chance ! » Et voilà Guignon exorcisée. Le défi a déjoué le sort. Le crapaud est, bien entendu, un prince charmant en mal de sortilège. La conversion instantanée lève tous les maléfices. C'est ainsi que Solal, le héros d'Albert Cohen, peut s'écrier : « Que les douleurs te conduisent à la joie ! » Certes, le chemin est dur, et qui sait ce qui est au bout ? Si le changement est difficile, c'est que rien n'est jamais garanti. Le projet cosmique lui-même est précaire. Les physiciens le savent. Les théologiens le disent mieux parfois. Que l'on prête seulement attention à la remarquable étude d'André Neher dans l'ouvrage collectif Les Hommes devant l'échec. Le monde sorti des mains de Dieu a succédé à vingt-six tentatives, et « il est exposé lui aussi au risque de l'échec et du retour au néant. Pourvu que celui-ci [le monde] tienne ! » et l'on sait que cela ne va pas sans peine. Le monde, souligne Neher, est marqué « du signe de l'insécurité radicale ». Ce thème du découragement de Dieu s'inscrit dans l'histoire du Déluge et se retrouve dans deux versets bouleversants de l' Exode, lorsque Dieu, ayant enfin arraché à Moïse son consentement, décide, brusquement et sans commentaire, sa mort. Chaque fois le monde est sauvé par la présence d'un juste ou le geste symbolique d'un être humain – pour Moïse, sa femme Tsiporah –, qui rappelle à Dieu son pacte avec le monde. Le monde est à chaque instant mis en danger par l'homme et sauvé par l'homme. Traversé de douleurs, submergé de vagues déferlantes et porté de rivage en rivage sans atteindre aucun but. « Tout ce bouleversement pour un peut-être ! » dit Rabbi Eléazar, cité par Neher. C'est là peut-être la dimension la plus intime, le point germinal de l'essence et de l'histoire de l'homme. Le mythe grec met en lumière une dimension de la psyché humaine sur laquelle s'appuie explicitement la psychanalyse pour expliquer le développement des névroses : Œdipe naît dans un réseau de fatalités. C'est son père qui est averti – et non lui-même –, et son exil ne l'empêche d'être ni le meurtrier de son père, ni l'époux de sa mère. Œdipe meurt après s'être significativement[...]

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La Chute, L. Cranach l'ancien - crédits : AKG-images

La Chute, L. Cranach l'ancien

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