FRANCFORT ÉCOLE DE
Adorno et la dialectique négative
Alors que la personnalité de Horkheimer dominait les premiers travaux de la théorie critique, Adorno en est le principal penseur pour la dernière période. C'est en effet lui qui s'attache alors à infléchir la théorie critique dans le sens d'une attitude radicalement négative, et refusant tout compromis avec la réalité existante parce que la violence et la souffrance, devenues extrêmes sous le fascisme, exigent un effort extrême de la pensée. Adorno est aussi celui qui réclame une nouvelle interprétation du monde parce que la transformation de celui-ci est demeurée en retrait par rapport à la philosophie. C'est lui, enfin, qui justifie le statut philosophique de la théorie critique sans hésiter à la déclarer solidaire de la métaphysique au moment de son déclin.
Les instruments de la théorie critique ont dès lors besoin d'être affinés. Les concepts traditionnels de la dialectique et du matérialisme, étant donné que ceux-ci doivent avoir pour moteur la souffrance, se révèlent inopérants parce que trop positifs et trop affirmatifs, c'est-à-dire trop optimistes. C'est pourquoi, dans la Dialectique négative (Negative Dialektik, 1966), œuvre philosophique majeure de l'école, Adorno en entreprend la déconstruction ; il reproche en particulier à la dialectique de fonctionner selon la logique formelle de l'identité, qui n'est en dernière instance rien d'autre que la logique de la domination. Aussi convient-il de faire éclater cette logique en prenant parti de façon radicale en faveur de l'individuel et du particulier, c'est-à-dire de ce non-identique qui échappe encore à la domination du logos. Adorno se tourne dès lors tout naturellement vers l' esthétique. En effet, l'art est, pour lui, la monade de résistance capable de briser de l'intérieur la « totalité négative », puisque, par sa réalité, il témoigne de la « possibilité du possible ». La Théorie esthétique (1970) montre non seulement que l'art témoigne des sacrifices imposés par le progrès, mais encore que l'œuvre d'art hermétique représente une pratique tout à fait différente de celle qui demeure fondée sur la domination. L'artiste apparaît ainsi comme « lieu-tenant » d'une pratique sociale meilleure.
Éclipsé quelque peu par les démonstrations extraordinairement fines de son ami, Horkheimer n'en précise pas moins, à cette occasion, l'importance qu'ont à ses yeux de grands pessimistes tels que Nietzsche et Schopenhauer (il considère ce dernier comme étant plus actuel que Marx). Il en vient ainsi à affirmer : « Le pessimisme métaphysique, facteur implicite de toute pensée authentiquement matérialiste, m'a toujours été familier. »
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Gerhard HÖHN : docteur de l'Université de Paris, chercheur, écrivain
Classification
Média
Autres références
-
ADORNO THEODOR WIESENGRUND (1903-1969)
- Écrit par Miguel ABENSOUR
- 7 899 mots
- 1 média
Philosophe, sociologue et musicologue allemand, Theodor Wiesengrund Adorno est né le 11 septembre 1903 à Francfort-sur-le-Main. (Au cours de l'émigration, il abandonna le patronyme Wiesengrund pour prendre le nom de sa mère, Adorno.) Il connaît une enfance très protégée entre un père juif, négociant...
-
BENJAMIN WALTER (1892-1940)
- Écrit par Philippe IVERNEL
- 2 747 mots
- 1 média
...demeure en marge des courants établis, c'est pour mieux opérer entre leurs diverses positions. Parmi ses interlocuteurs privilégiés, il a compté, outre Theodor W. Adorno (représentant, avec Max Horkheimer, de la « théorie critique » propre à ce qu'il est convenu d'appeler l'école de Francfort), des esprits... -
FRANCFORT-SUR-LE-MAIN
- Écrit par Antoine LAPORTE
- 1 068 mots
- 2 médias
Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main en allemand) est une ville d’Allemagne située dans le Land de Hesse. Avec 750 000 habitants en 2019, c’est la cinquième ville du pays. En tant que première place financière d’Allemagne, Francfort est souvent considérée comme la capitale économique du pays....
-
FREUDO-MARXISME
- Écrit par Jacquy CHEMOUNI
- 1 742 mots
- 3 médias
La critique sociale inspirée de Freud et de Marx se veut plus radicale avec les membres de l'école de Francfort. Elle permet à Fromm de fonder sa perspective psychosociale. Chez Herbert Marcuse (1898-1979) avec Eros et la civilisation (1955), elle constitue un outil critique radical de la société,... - Afficher les 20 références