FRANCFORT ÉCOLE DE
De Jürgen Habermas à l'influence actuelle de l'école
Face à cette prédominance quasi exclusive de la théorie, Habermas, pour sa part, fait retour à l'analyse pratique et politique de l'évolution sociale. Sous l'influence d'Adorno et de Marcuse, lequel fut le principal théoricien politique de la dernière période du mouvement, il entreprend des recherches sur les nouvelles potentialités de contestation, qui se trouvent actuellement, selon lui, dans ce qu'il appelle les « courants néo-populistes », composés d'étudiants radicaux, d'écologistes, d'intellectuels, de partisans de l'idée des Bürgerinitiativen (« initiatives de citoyens »). Par ailleurs, tout en représentant la continuité de la théorie critique, Habermas fait désormais comparaître celle-ci devant le tribunal de l'épistémologie moderne, et, s'il se réfère encore au matérialisme historique, à l'idéalisme allemand et à la psychanalyse, ce n'est cependant pas sans apporter de sensibles modifications aux positions qu'avait prises l'école à leur sujet. Il critique ainsi l'« orthodoxie latente » de la pensée d'Adorno et de Horkheimer, et il réclame une « révision nécessaire » du marxisme (Théorie et Pratique, 1963), qui aboutit finalement au projet d'une « reconstruction du matérialisme historique » (Zur Rekonstruktion des historischen Materialismus, 1975). En revanche, il met à profit la philosophie de Kant, de Fichte et de Hegel pour fonder sa théorie critique sur l'idée d'un « intérêt émancipateur » (Connaissance et intérêt, 1968). Enfin, la psychanalyse lui sert de modèle pour démontrer comment, grâce à l'autoréflexion, peuvent coïncider connaissance et « intérêt pour la connaissance » (c'est-à-dire l'intérêt émancipateur). À ces préoccupations se rattache la préparation de l'œuvre majeure de Habermas, intitulée Theorie des kommunikativen Handelns (1981), qui, s'inspirant essentiellement de Max Weber, mais sans cesser de se référer aux travaux du jeune Horkheimer, analyse finalement les structures générales de l'« action communicationnelle », fondement normatif d'une théorie sociale critique. Ce projet se nourrit d'une réflexion sur le rapport actuel entre « système » et « monde vécu » : les impératifs des systèmes économiques et bureaucratiques menacent aujourd'hui de « coloniser » totalement la sphère privée et publique, à tel point que toute communication intégrale soit désormais impossible.
L'influence de la théorie critique est devenue indéniable dans les pays occidentaux, bien que certaines recherches d'Adorno, de Horkheimer et de Marcuse – telles l'analyse théorique de l'État autoritaire et l'analyse empirique de la personnalité autoritaire – eussent sans doute été proposées trop tôt pour avoir tous les retentissements qu'elles méritaient. En France, la théorie critique de l'école de Francfort a connu un succès éphémère dans les années 1974 et 1975, tandis que, par la suite, ont paru être d'une plus grande actualité des thèses comme celles qui ont trait au totalitarisme de la philosophie des Lumières, à la toute-puissance du pouvoir, au pessimisme en histoire. Le débat qui s'est déroulé autour des « nouveaux philosophes » a révélé, d'ailleurs, cette fois dans un cadre nettement politique, que d'autres contextes culturels et d'autres expériences peuvent donner un regain d'intérêt à certaines thèses de l'école.
Toutefois, les références occasionnelles qu'on peut faire ainsi à cette dernière ne sauraient masquer ce qu'elle a de spécifique et de différent. Car c'est sans rompre avec Marx et le marxisme, ni renoncer au contenu de vérité de la pensée de Kant, de Hegel et de Nietzsche,[...]
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Écrit par
- Gerhard HÖHN : docteur de l'Université de Paris, chercheur, écrivain
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