VIENNE ÉCOLE DE, musique
Une des principales caractéristiques de la musique moderne est son affranchissement du système des tonalités majeures et mineures, qui a assuré la structure et la cohérence de la musique occidentale du xvie au xixe siècle. En effet, dès la fin du xixe siècle, les principes qui dominent la musique depuis quatre siècles atteignent leurs limites, les compositeurs de l'Europe entière tentent de s'en libérer et participent à cette remise en question par des voies qui leurs sont propres. Si les préoccupations des musiciens sont semblables, les solutions préconisées sont diversifiées.
Une réponse à l'usure du langage tonal vient de compositeurs français, et plus particulièrement de Claude Debussy, qui réactualise la modalité afin de créer un langage dégagé de toute contingence tonale.
Une autre réponse réside dans l'élargissement de la tonalité par l'usage d'accords altérés pouvant s'insérer dans d'autres tonalités et dont les flottements harmoniques ont pour conséquence l'effacement des fonctions tonales. Cette démarche, qui s'inscrit dans le grand mouvement de remise en question du langage, est partagée par des compositeurs aussi divers que Richard Strauss, Igor Stravinski, Béla Bartók, Alexandre Scriabine, Albert Roussel, Claude Debussy ou Maurice Ravel. Elle conduit à la superposition de deux (bitonalité) ou de plusieurs (polytonalité) tonalités différentes.
Cependant, cette polytonalité reste inséparable du système diatonique et s'oppose en cela à l'atonalité, qui constitue l'aboutissement du chromatisme. Et c'est cette exacerbation du chromatisme par des compositeurs comme Richard Wagner puis Gustav Mahler qui va conduire à l'atonalité puis à l'organisation de cette atonalité – le dodécaphonisme sériel – par l'école de Vienne, son père fondateur Arnold Schönberg (1874-1951) et ses deux élèves Alban Berg (1885-1935) et Anton von Webern (1883-1945). Cependant, contrairement aux compositeurs qui l'ont précédé, la démarche de Schönberg relève d'une volonté consciente et méthodiquement organisée.
Schönberg ou la volonté d'instaurer un nouveau système
L'abandon de la tonalité n'est pas l'œuvre de l'école de Vienne. Bien avant Schönberg, plusieurs compositeurs avaient affirmé la nécessité de se libérer du système tonal. Franz Liszt avait d'ailleurs fait un pas important dès 1885 en composant Bagatelle sans tonalité. L'abandon de la tonalité avait pour principales caractéristiques la déhiérarchisation des degrés de la gamme classique au profit du total chromatisme, le refus des accords classés, l'abandon d'un centre tonal et des modulations et, par suite, l'émancipation de la dissonance. Tout cela entraîne un rejet des moyens d'articulation qui l'accompagnent et favorise une musique athématique dont l'unité, la cohésion et la continuité musicale sont très difficiles à préserver. D'où la difficulté de composer une œuvre longue sans avoir recours à un texte qui assure sa cohérence et détermine sa longueur.
La première période, dite « atonale libre », de la trilogie viennoise s'étend de 1908 à 1923. Des œuvres de Schönberg comme les Trois Pièces pour piano opus 11 (1909), les Quinze Mélodies d'après « Le Livre des jardins suspendus » de Stefan George opus 15 (1908-1909), les Cinq Pièces pour orchestre opus 16 (1909), le monodrame Erwartung (1909), Pierrot lunaire (1912), ou encore des pièces de Webern comme les Six Bagatelles pour quatuor à cordes opus 9 (1913) illustrent cet emploi de petites formes. Seul Alban Berg parviendra à composer une grande forme avec son opéra Wozzeck (1914-1923) ; mais cette œuvre dont la cohésion musicale est assurée par l'emploi de formes élaborées (fugue, passacaille, suite, forme sonate), jusque-là[...]
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Écrit par
- Juliette GARRIGUES : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)
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