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ANNALES ÉCOLE DES

Le temps des sciences sociales

Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale et même la succession de Febvre, en 1956, à la direction de la revue pour que le mouvement prenne de l'ampleur autour et au-delà des Annales. Malgré l'assistance de Fernand Braudel, qui lui succède au Collège de France, et la formation d'une nouvelle équipe avec le sociologue Georges Friedmann et l'historien Charles Morazé, Febvre continue de diriger la revue à sa guise. Sous un titre nouveau à partir de 1946, Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, la revue transformée a une double ambition qui servira dès lors de définition minimale du mouvement : s'inscrire dans ce qui est désormais affirmé comme une tradition en se portant sur tous les fronts de l'innovation scientifique. La revue peut s'appuyer sur une institution, la VIe section de l'École pratique des hautes études (E.P.H.E.), fondée en 1947 et présidée par Febvre. Pourtant, bien que perceptible dès 1946, le succès du mouvement, toujours modeste, ne sera effectif qu'au lendemain de la mort de Febvre alors que se met en place une conjoncture considérablement renouvelée de l'enseignement et de la recherche dans les sciences sociales.

L'action de Febvre et de Bloch s'était déployée dans un contexte singulier de crises qui avaient affecté des sociétés confrontées à une modernisation rapide, et n'épargnaient ni les sciences sociales, incapables de s'institutionnaliser, ni l'histoire, confrontée à une crise à la fois morale – issue de l'expérience vécue de la guerre – intellectuelle et institutionnelle. Braudel, quant à lui, héritera de la conjoncture des années 1960 nettement plus favorable, malgré les nouveaux clivages idéologiques de la guerre froide.

La création d'institutions nouvelles, en marge d'une université qui restera encore longtemps refermée sur elle-même, comme l'E.P.H.E., le Centre national de la recherche scientifique (C.N.R.S.), ou d'autres organismes de recherche liés à l'État comme l'Institut national d'études démographiques (I.N.E.D.), offrent un véritable appel d'air pour les sciences sociales en France qui, durant les années 1950, bénéficient ainsi d'une politique affirmée de développement. Le programme des Annales est toujours celui d'une unification des sciences de l'homme et l'histoire se présente encore comme la discipline fédératrice, même si les impulsions viennent de l'économie et de la démographie, de la linguistique, de l'anthropologie ou encore de la sociologie.

Devant relever un double défi institutionnel et scientifique, l'histoire fait mieux que résister. Braudel propose la longue durée comme modèle et langage commun à l'ensemble des sciences de l'homme, dans son ouvrage qui fera date : La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II (1949). Avec une formidable maîtrise de l'écriture, il y énonce les trois temps de l'histoire : le temps immobile ou presque des contraintes géographiques, le temps long de l'économie, le temps rapide de la politique et de la guerre. Cette véritable modélisation historique, qu'il systématisera dans un article resté célèbre, « Histoire et science sociale : la longue durée » (1958), se présente aussi comme une histoire globale qui entend saisir une civilisation dans l'ensemble de ses caractéristiques et de sa temporalité. Cet article, qui constitue une réponse à l'anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss (Les Structures élémentaires de la parenté, 1949), comportait aussi – on l'a un peu oublié – une seconde partie sur les modèles explicatifs, sur les « mathématiques sociales » et la communication, toute aussi importante pour le débat entre histoire et sciences sociales.[...]

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Emmanuel Le Roy Ladurie - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Emmanuel Le Roy Ladurie

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