ANNALES ÉCOLE DES
Expansion puis remise en question des Annales
Une expression désigne bientôt cette expansion au-delà du cadre de la revue des Annales qui souvent s'en réclame mais ne s'y réduit jamais tout à fait : la « nouvelle histoire ». Certes l'expression, alors à la mode, ne trompe pas, car l'histoire nouvelle revendique sa pleine filiation avec la tradition des Annales. Mais la contribution de Jacques Le Goff, qui dirige la publication du Dictionnaire de la nouvelle histoire (1978) avec Roger Chartier et Jacques Revel, sur la notion elle-même, marque une amplification de l'école des Annales dont il va chercher les racines chez Voltaire, Chateaubriand, Guizot ou Michelet. La « nouvelle histoire » exprime précisément ce moment où les commentaires qui se focalisent sur le mouvement des Annales l'instituent en tradition et en école, que ce soit pour en admirer la réussite ou, à l'inverse, en dénoncer l'hégémonisme. Curieusement, la plupart des reconstructions rétrospectives développent une histoire généalogique qui valorise un âge d'or fondateur et sanctionnent, par le repérage des continuités et discontinuités, le bon ou le mauvais usage de cet héritage intellectuel.
Significativement, l'expression fait son entrée dans les index bibliographiques. Assurément plus qu'une revue, plus qu'une école, les Annales sont devenues une tradition et même pour certains un « paradigme ». Ces débats, généralement animés par des enjeux singuliers liés, en particulier, aux développements des historiographies nationales, n'ont guère contribué à clarifier les contours du mouvement ni à identifier la revue elle-même. Réduite à une succession de générations, la légende des Annales a souvent amalgamé les œuvres personnelles d'auteurs aux trajectoires diverses avec la production de la revue.
Trente ans plus tard, la revue change à nouveau de titre : Annales. Histoire, sciences sociales, conséquence d'une nouvelle inflexion donnée au programme de la revue à la suite d'une réflexion (auto)critique organisée, en 1989, sur le « tournant critique ». Dans l'histoire d'un mouvement qui a toujours revendiqué ses changements d'orientation dans la fidélité au projet fondateur, ce tournant n'est pas anodin. Implicitement, c'est admettre que les Annales ne portent plus seules, ni même peut-être principalement, l'organisation de l'innovation scientifique en histoire et dans les sciences sociales. Mais plus fondamentalement, c'est la conjoncture historiographique (ou le paradigme) qui paraît avoir changé avec notamment l'effondrement de l'histoire sociale comme « paradigme » fédérateur de l'histoire et des sciences sociales.
Considérer l'histoire comme une science sociale à part entière a forgé, par-delà la diversité des formulations possibles, la ligne de continuité des Annales depuis leur fondation jusqu'aux années 1990. Cette conviction, partagée comme une évidence, reposait sur l'idée que pour être une science, l'histoire ne pouvait l'être que parce qu'elle se proposait de saisir le social, c'est-à-dire le collectif. Le social n'était pas principalement compris comme un objet mais comme le référent même de l'enquête historique. Cette proposition a été assimilée, à un moment donné, à « l'école des Annales ». Mais à partir des années 1970, cette conviction a commencé à s'effondrer, et d'abord à l'étranger. Au Royaume-Uni, l'histoire sociale marxiste est remise en cause, c'est également le cas en Italie où s'affirme de manière assez spectaculaire la microstoria, qui contribue à réhabiliter le singulier, le local et l'événement. En Allemagne, l'Alltagsgeschichte (histoire du quotidien) bouleverse les habitudes académiques de la Gesellschaftsgeschichte[...]
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Écrit par
- Bertrand MÜLLER : directeur de recherche au CNRS
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