MATHÉMATIQUE ÉCOLE ÉCONOMIQUE
De toutes les sciences sociales, l'économie est, de beaucoup, la plus mathématisée : dans les revues économiques qui comptent, les articles sont écrits dans le langage des mathématiques ; les économistes distingués chaque année par le prix Nobel d'économie sont le plus souvent des économistes mathématiciens. Pourtant, l'école mathématique revient de loin : aujourd'hui dominante, elle était hier à peine tolérée et elle continue d'ailleurs de susciter des oppositions farouches.
L'économie mathématique recouvre des pratiques et des méthodes assez différentes. Elle manie tantôt des symboles, tantôt des chiffres. Or on ne raisonne pas pareillement avec des x et des y ou avec des chiffres ; il importe aussi de savoir si ces chiffres sont imaginaires ou issus d'un tableau de comptabilité. Les symboles mènent toujours aux chiffres mais les chiffres ne mènent pas toujours aux symboles. On peut donc distinguer entre, d'un côté, des modèles formalisés, destinés à être confrontés aux statistiques disponibles et, de l'autre, le recours direct à ces statistiques pour en déduire des lois empiriques.
Mathématiques et science économique
Au xviiie siècle, et en partie au siècle précédent, la pensée économique empruntait le style qui avait si bien réussi aux sciences de la nature. Elle cherchait des propositions très générales, si possible sous la forme de lois universelles, étayées par des chiffres. Les mathématiques ne dominaient certes pas, mais les calculs du moins étaient les bienvenus et nul n'avait à s'excuser d'y recourir. William Petty, Boisguilbert, Richard Cantillon, Condillac, les physiocrates autour de François Quesnay et Turgot étaient des économistes qui utilisaient un même mode d'expression, la plupart cherchant systématiquement à quantifier leurs concepts et leurs démonstrations.
Cette tradition cède la place à une autre à la suite d'Adam Smith (1723-1790), professeur de philosophie morale. La réflexion économique devient alors plus philosophique, ce qui ne signifie pas moins raisonneuse mais moins mathématique. Elle se méfie de la statistique pour de bonnes raisons : les chiffres disponibles sont rares et peu fiables jusqu'à la fin du xixe siècle ; en outre, qu'en ferait-elle ? Son thème de prédilection est la valeur, dont il s'agit de déterminer l'origine, la substance, la véritable nature, ce qui se prête mal à la quantification ou aux calculs.
Ce tableau est évidemment caricatural. La tradition philosophique en économie existait avant Smith, tandis que l'emploi des mathématiques ne disparaît pas totalement à l'époque classique ; mais les économistes mathématiciens de cette époque sont isolés.
Une nouvelle phase commence dans les années 1870. Quelques économistes comme l'Anglais Stanley Jevons préconisent, d'une part, de rompre avec l'école classique issue de Smith et, d'autre part, d'adopter résolument la méthode mathématique. La majorité des économistes approuvent le premier objectif mais pas le second : il est reproché en particulier à David Ricardo (1772-1823) d'avoir raisonné de façon trop abstraite, mais la méthode historique reste privilégiée au motif qu'il n'existerait pas de lois universelles en économie comme il en existe en physique.
Tout en restant minoritaire, l'école mathématique va se constituer en tant que telle. Désormais, les économistes mathématiciens de tous pays se connaissent, cherchent à résoudre des questions communes, chacun progressant à partir de ce que les autres ont établi. Ces économistes ont peu d'audience jusqu'à ce qu' Alfred Marshall, dont l'influence est immense de 1890 à 1930, admette le bien-fondé de leur méthode, sans pour autant y adhérer tout à fait. L'école économique mathématique étend ensuite son influence[...]
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Écrit par
- François ETNER : professeur de sciences économiques à l'université de Paris-IX-Dauphine
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