MATHÉMATIQUE ÉCOLE ÉCONOMIQUE
À quoi sert l'économie mathématique ?
L'économie mathématique ne s'est pas imposée parce qu'elle répondait mieux que d'autres à certaines questions fondamentales, concernant par exemple la nature de la valeur d'échange ou l'essence du système capitaliste. Elle s'est imposée parce qu'elle seule donnait des réponses quantitatives à des questions posées par des institutions qui en avaient besoin.
Le calcul économique offre un exemple de ce rapport entre l'économie mathématique et les besoins qui lui correspondent. Il s'agit d'une spécificité des ingénieurs-économistes français, depuis Jules Dupuit qui en formalisa la méthode en 1844 (De la mesure de l'utilité des travaux publics), jusqu'à Maurice Allais qui parvint, un siècle plus tard, à l'intégrer dans un modèle général microéconomique. Pour illustrer cette tradition, supposons que l'État, ou une entreprise publique, ou une instance de régulation, s'interroge sur l'opportunité d'une action. Si on agit, il en coûtera tant et avec des avantages divers pour les uns et pour les autres. Le calcul économique formalise d'abord, et chiffre ensuite, les différents éléments de cette comptabilité ; il conclut à l'utilité d'agir ou de s'abstenir, non pas pour des raisons financières mais dans la seule perspective de l'intérêt général. Dupuit raisonnait jadis sur des canaux à construire ; on raisonne de même aujourd'hui pour savoir si l'extension des trains à grande vitesse est conforme ou non à l'intérêt général, ou pour décider s'il faut ou non rendre obligatoires certains vaccins.
Plus généralement, beaucoup de questions économiques d'ordre pratique sont susceptibles d'être mathématisées. Quel sera l'effet d'une baisse du taux d'intérêt sur l'emploi ? Faut-il augmenter certaines primes d'assurance automobile ? Faut-il reculer l'âge du départ à la retraite ? Pour chaque question de ce genre, il est souvent possible d'élaborer un modèle pertinent, d'en chiffrer ensuite les paramètres et de conclure dans quel sens il conviendrait d'agir. Un bon modèle ne doit pas être trop détaillé, parce que trop de paramètres rendraient difficile sa validation empirique ; mais il doit être suffisamment détaillé pour aboutir à des prévisions ou à des préconisations précises. L'art de l'économiste mathématicien consiste à concilier au mieux ces deux impératifs contradictoires. Et s'il peut être reproché à tel économiste mathématicien d'utiliser un modèle inadapté à la question qu'il traite, on aurait tort de lui reprocher d'en passer par un modèle mathématique.
Tous les modèles mathématiques ne visent pas, ou du moins pas directement, à chiffrer ou à proposer quelque réforme que ce soit. Certains semblent plus théoriques que d'autres, élaborés dans le seul but de comprendre les mécanismes économiques fondamentaux. Les hypothèses sont alors le moins spécifiques possible, le plus abstraites aussi. Mais comme pour le modèle de Debreu, de tels modèles suscitent forcément des variantes dans des domaines particuliers avec des interprétations suffisamment précises pour se traduire en actes ou pour inciter à rejeter l'ensemble. Les modèles théoriques ne s'opposent donc pas aux modèles appliqués. D'ailleurs, ce sont souvent les mêmes auteurs qui élaborent les uns et les autres, avec les mêmes préoccupations dans les deux cas.
En fait, le défaut de l'économie mathématique est d'être incompréhensible par le plus grand nombre. Et si l'on accepte souvent de se fier à des spécialistes, chirurgiens, garagistes ou informaticiens, sans chercher forcément à en comprendre les raisonnements, on l'admet plus difficilement quand il s'agit de décisions[...]
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Écrit par
- François ETNER : professeur de sciences économiques à l'université de Paris-IX-Dauphine
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