ÉCOLE FRANÇAISE DE DANSE
Une technique raffinée
Outre l’ordre et la rigueur qu’elle inculque, l’école française de danse est aussi, et peut-être d’abord, un style, un enseignement, ce qui n’empêche pas l’évolution de la technique. Dès son origine, elle privilégie l’élévation, l’aisance souveraine, la noblesse du port, l’effacement de l’effort…, toutes les qualités censées être la marque de l’inné aristocratique. Au-delà de ces valeurs, l’école française se caractérise par le raffinement d’une technique. On trouve des textes du xviie siècle où l’on enseigne le « dédain de la prouesse » sans bannir la virtuosité. Simplement, cette dernière n’est jamais privilégiée en tant que telle. C’est l’époque de Descartes, du cartésianisme, et historiquement, l’enseignement est posé, défini selon des règles précises. Les positions des bras et des pieds sont précisément déterminées, les épaulements évitent toute occupation anarchique de l’espace. Il n’y a pas de dérive. L’école française est par ailleurs un modèle d’équilibre. L’enseignement est quasi anatomique dans la mesure où il suit l’alignement des articulations. L’en-dehors, par exemple, fondement de toute la danse classique, n’est pas exagéré, tandis que les bras suivent une ligne légèrement plus basse que les épaules. Les professeurs vont continuer à travers les siècles de transmettre l’esprit de cette école, exigeant toujours le fini du mouvement, la prestesse éloquente du bas de jambe, la rigueur de l’intention artistique. Référence dans toute l’Europe jusqu’au milieu du xixe siècle (l’enseignement de la danse classique se disant encore aujourd’hui en français dans le monde entier), la danse française traverse ensuite une crise qui s’étend jusqu’au début des années 1930. Elle n’a été sauvée que par l’obstination d’étoiles et de grands professeurs de l’Opéra comme Marie Taglioni, Caroline Lassiat (dite Madame Dominique), Rosita Mauri, Carlotta Zambelli, Léo Staats et Serge Lifar. La transmission, se passant de danseur en danseur, est orale et physique, et non pas théorique. Ainsi, on travaille toujours le « brisé Télémaque » – une figure consistant à « battre » les jambes en sautant – bien que le ballet éponyme (Télémaque dans l’île de Calypso) de Pierre Gardel pour lequel il a été inventé en 1790, soit tombé dans l’oubli depuis fort longtemps. Et Raymond Franchetti (1921-2003), grand pédagogue et directeur de la danse à l’Opéra de 1972 à 1977, enseignait encore « l’adage Vestris » (du grand danseur Auguste Vestris [1760-1842], un des premiers directeurs de l’Opéra), transmis par des générations de professeurs depuis 1820.
Cette danse d’école, avec sa signature, son élégance « à la française » et son refus d’exploits physiques démonstratifs, possède une armature solide qui permet au corps d’aller plus loin. Elle est partie prenante de l’évolution de la technique du ballet et a toujours su s’adapter aux innovations – comme l’invention des « pointes », par exemple. N’oublions pas que le répertoire de l’Opéra de Paris est composé de créations successives. Cette école française pourra-t-elle résister à une danse qui a tendance à se globaliser sous la pression d’une mondialisation qui gomme peu à peu les différences ? Parions que son vieil âge la préservera des modes qui passent plus vite que l’Histoire.
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Écrit par
- Agnès IZRINE : écrivaine, journaliste dans le domaine de la danse
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