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MÉTHODIQUE ÉCOLE, histoire

Le triomphe de la méthode

Si l'histoire a pour objectif d'accéder au rang de science, c'est parce que la démarche scientiste identifie vérité et science. Dans l'ombre portée de L'Origine des espèces de Charles Darwin (1859) et de l'Introduction à l'étude de la médecine expérimentale de Claude Bernard (1865), observation et expérimentation sont considérées comme les bases nécessaires de tous les savoirs vérifiables et opérationnels.

Or les universités allemandes, depuis le début du xixe siècle, ont développé et organisé un savoir historique dont les principes formulés par Leopold Von Ranke récusent toute philosophie de l'histoire et entendent seulement « retrouver ce qui s'est réellement passé » en s'appuyant sur des sources triées et épurées grâce à la critique. Ce modèle allemand d'une méthode, d'une organisation de la recherche et de son lien avec l'enseignement exerce une influence croissante à partir de la fin du second Empire et davantage encore après la défaite française de 1871.

Toutefois, l'introduction du modèle scientifique dans l'écriture de l'histoire est d'abord le fait de deux auteurs qui seront pourtant critiqués par l'école méthodique dès le début des années 1880 : Hippolyte Taine (1828-1893) et Numa Denis Fustel de Coulanges (1830-1889). Bien que s'affirmant positiviste et scientifique, Taine sera rejeté pour avoir condamné la Révolution. Quant à Fustel de Coulanges, maître de nombre de ceux qui vont le décrier, il lui sera reproché, notamment par Gabriel Monod, d'ignorer les règles de la critique d'authenticité et de négliger la production des savants contemporains au profit d'une confiance abusive dans les témoignages antiques.

L'essence de la démarche de l'école méthodique va donc se cristalliser dans un cours assuré en Sorbonne par Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, publié en 1898 : L'Introduction aux études historiques. Tout autant qu'un vade-mecum technique sur la pratique critique des historiens, il s'agit d'un ouvrage d'épistémologie camouflée, que complète en 1901, sur le plan théorique, La Méthode historique appliquée aux sciences sociales de Charles Seignobos. Cet ouvrage entend former les apprentis historiens aux étapes de l'élaboration de la « critique externe » pour établir l'authenticité du document, et de la « critique interne » afin de déterminer ce que l'auteur a voulu dire, s'il a cru ce qu'il a dit et s'il est fondé à croire ce qu'il a cru. L'ouvrage établit également comment passer de l'analyse à la synthèse à partir d'un inventaire/questionnaire systématique.

L'histoire ainsi décrite se comprend davantage comme un procédé de connaissance singularisé par son caractère indirect : « en histoire on ne voit rien de réel que du papier », écrit Charles Seignobos. Par conséquent, pour restituer le passé, cette méthode de connaissance par traces recourt à l'analogie, empruntée par nécessité à l'expérience humaine de l'historien. Deux lectures fort différentes dérivent de ces principes.

La première, réductrice, qui prévaut encore dans l'ouvrage de Louis Halphen en 1946 (Introduction à l'histoire), a suscité les attaques de Lucien Febvre dans l'entre-deux-guerres. L'école méthodique se limiterait à retrouver le passé sous la forme d'une suite d'événements politiques ordonnés chronologiquement, dégagé des faux documents par la méthode critique.

La seconde lecture dévoile plutôt la part de subjectivité, que Charles Seignobos a toujours acceptée, dans la pratique historique, en soulignant le rôle inéluctable du témoin et de son interprète dans une opération où l'historien « est comme un chimiste qui connaîtrait une série[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités en histoire contemporaine, Institut d'études politiques, université de Lille-II

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