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MÉTHODIQUE ÉCOLE, histoire

Les contestations et l'amorce du déclin de l'école méthodique

Derrière le triomphe de l'école méthodique se cachent les linéaments d'une crise dont les conséquences ne se dévoileront totalement qu'après 1918. Tout d'abord, l'affaire Dreyfus frappe de plein fouet la communauté des historiens de métier, unie par la méthode critique. En 1898, quand Émile Zola, en s'exposant avec « J'accuse », relance l'affaire, il cite pour sa défense quelques-uns des professeurs les plus érudits de l'École des chartes afin d'établir l'innocence de Dreyfus. Leur intervention divise la corporation des historiens ; leurs adversaires camouflent leur hostilité politique en dénonçant une trahison des principes de la méthode critique. Aussi, au sortir de l'affaire, Gabriel Monod est conscient que même la méthode de critique d'authenticité ne parvient pas à établir l'objectivité de l'historien.

Le deuxième coup de semonce provient des sciences sociales naissantes qui tentent, à leur tour, de se voir reconnaître une place institutionnelle. C'est le cas de la géographie dont les relations avec la discipline historique sont étroites et complexes. Bien que Lavisse admette son importance, en intégrant dans l'introduction à son Histoire de France (1903) la leçon de géographie rédigée par Paul Vidal de la Blache, les historiens s'opposent aux velléités d'indépendance des géographes qui, pour mieux affirmer leur distinction vis-à-vis de l'histoire, insistent sur le rôle du milieu, voire sur le déterminisme.

Toutefois, la remise en cause la plus sévère du modèle méthodique provient de la sociologie. Sous la plume de François Simiand, économiste disciple de Durkheim, l'histoire et sa méthode se voient récuser toute prétention scientifique pour trois raisons (Revue de synthèse historique, 1903) : elle adore « l'idole politique » de manière disproportionnée, elle révère « l'idole individuelle » parce qu'elle considère « l'histoire comme une histoire des individus et non comme une étude des faits », et enfin elle se prosterne devant « l'idole chronologique » quand il convient, selon la saine méthode durkheimienne, de « comprendre d'abord le type normal » d'un ordre de faits.

Enfin, en dehors des cénacles universitaires, l'histoire méthodique est attaquée sur d'autres fronts. Saisissant le prétexte du 75e anniversaire de la naissance de Fustel de Coulanges, transformé pour l'occasion en historien national, l'Action française érige cette école « allemande » (Monod et ses disciples ont trouvé leurs maîtres outre-Rhin) en adversaire absolu du nationalisme monarchiste. Par ailleurs, la dénonciation de l'emprise méthodique sur l'université et sur l'« intelligence » française forme alors le fond des attaques de Charles Péguy (Clio, 1910) et d'Agathon contre la « Nouvelle Sorbonne ».

Si ces attaques constituent l'arrière-plan d'une crise de conscience larvée, il faut attendre la sortie de la Première Guerre mondiale pour qu'elle devienne évidente. Lucien Febvre formule clairement ses doutes dans sa leçon inaugurale de la chaire d'histoire moderne de l'université de Strasbourg, intitulée « L'Histoire dans le monde en ruines ». Avec le culte du politique et du fait national, la science historique aurait contribué à sa manière à la catastrophe européenne. Cependant, le renouveau appelé par Lucien Febvre, que ses travaux et ceux de Marc Bloch annoncent dans l'entre-deux-guerres, ne s'effectue dans l'ensemble de l'enseignement et de la recherche historique qu'après 1945.

— Olivier LÉVY-DUMOULIN

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  • : professeur des Universités en histoire contemporaine, Institut d'études politiques, université de Lille-II

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