ÉCOLOGIE
Stabilité, adaptabilité et évolution des biocénoses
Complexité et stabilité
À l'échelle de l'observation humaine, de nombreuses biocénoses paraissent stables : leurs caractéristiques structurales et dynamiques ne changent pas sensiblement d'une année à l'autre. Cette permanence résulte, comme pour tout système biologique, d'un équilibre dynamique entretenu par les individus, les flux de matière et d'énergie qui traversent le système.
Bien souvent, cependant, l'environnement d'une biocénose présente des irrégularités temporelles qui ne sont pas des variations cycliques normales : ce sont des perturbations que la biocénose répercute dans son fonctionnement. À chaque fois, elle est ainsi écartée de son état normal, mais est susceptible d'y revenir lorsque cesse la perturbation. Les mécanismes de régulation assurant ce retour peuvent être plus ou moins efficaces et l'on est donc conduit à étudier la capacité de stabilisation d'une biocénose en fonction de l'amplitude des perturbations qu'elle peut subir.
De manière générale, les variations de l'environnement ont pour conséquence la modification des cinétiques démographiques de certaines espèces, dont les effectifs sont ainsi augmentés ou diminués de façon inhabituelle. Les transferts trophiques auxquels participent ces espèces sont donc perturbés, ce qui peut avoir des conséquences en cascade au long des chaînes alimentaires. L'augmentation de la disponibilité en nutriments peut entraîner une augmentation d'abondance de toutes les espèces du réseau trophique, ou bénéficier surtout aux espèces situées au sommet du réseau, ou encore, à l'inverse, déstabiliser le réseau à travers des oscillations non amorties des abondances et entraîner ainsi la disparition des niveaux trophiques supérieurs. C'est le « paradoxe de l'enrichissement », constaté dans les cas d'eutrophisation.
Les modifications de l'environnement peuvent aussi venir en premier lieu du sommet du réseau trophique. Ainsi, la réintroduction de quelques loups dans le parc naturel de Yellowstone a entraîné une raréfaction d'un herbivore majeur, le wapiti (ou cerf du Canada), et, en conséquence, un essor de la végétation auparavant très consommée par cet herbivore, notamment les saules. En retour, cette croissance de la végétation a eu un effet positif sur les espèces qui en dépendent, notamment les oiseaux et les castors. On dit d'une espèce qu'elle est « clé de voûte » lorsqu'elle joue un rôle démesuré dans le fonctionnement des écosystèmes par rapport à son abondance relative. C'est le cas des espèces au sommet des réseaux trophiques dont l'irruption ou la disparition entraîne des cascades trophiques.
Au total, on dit d'une espèce qu'elle est « contrôlée par le bas », lorsque son abondance dépend des ressources disponibles à la base du réseau trophique auquel elle appartient, et « contrôlée par le haut », lorsqu'elle dépend de la présence et de l'abondance des espèces situées au sommet de ce réseau. Néanmoins, ces phénomènes de cascades ne sont pas toujours présents, car l'organisation en réseau de la biocénose permet des compensations interspécifiques : si, par exemple, l'une des proies habituelles d'un prédateur devient déficitaire à la suite d'une perturbation du milieu, le prédateur peut reporter ses efforts de chasse sur une autre espèce. Le comportement homéostatique de la biocénose pourrait ainsi être lié à une certaine souplesse du fonctionnement, due au fait que des espèces différentes peuvent remplir des fonctions équivalentes au sein du réseau trophique. La capacité de stabilisation d'une biocénose dépendrait alors de la complexité de celle-ci : plus la biocénose serait riche en espèces, plus le réseau trophique serait[...]
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Écrit par
- Patrick BLANDIN : professeur au Muséum national d'histoire naturelle, directeur de la Grande Galerie de l'évolution
- Denis COUVET : professeur au Muséum national d'histoire naturelle, Paris
- Maxime LAMOTTE : professeur honoraire à l'université de Paris-VI-Pierre-et-Marie-Curie (faculté des sciences), ancien directeur du laboratoire de zoologie de l'École normale supérieure
- Cesare F. SACCHI : professeur d'écologie à l'université de Paris-VI, directeur de l'Institut d'écologie et d'éthologie de Pavie
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