ÉCOMUSÉES INDUSTRIELS
L'hypothèse est dans l'air aujourd'hui d'une crise durable de fréquentation des musées. Le tassement ou la baisse de la clientèle tiendraient à plusieurs facteurs : la difficulté pour un musée de se renouveler, puisque par définition il vit sur des collections qui ne peuvent connaître qu'un accroissement lent ; celle aussi d'exercer sur un public élargi un attrait suffisant, en dépit de la multiplication des expositions temporaires, de la modernisation des concepts et des instruments de la muséographie, de l'usage qui se généralise de l'interactivité, de l'ouverture à des manifestations sociales ou culturelles n'ayant pas de lien direct avec la spécialité même du musée, celui-ci prenant alors le caractère d'un lieu de sociabilité. Toutes « recettes » peut-être insuffisantes pour garantir la fondation d'une nouvelle alliance entre le musée et son environnement humain.
Bien que les musées ou écomusées industriels et techniques n'échappent pas à ces périls et à ces remises en question, il apparaît cependant qu'ils sont probablement le lieu où s'élabore la mutation intellectuelle et professionnelle la plus profonde : une mutation conduisant du musée « de ceci ou de cela », du musée de société (qui a induit depuis une dizaine d'années un élargissement des thèmes plus qu'une révolution muséologique), jusqu'au musée dans la société, dans son environnement, et à leur service.
L'image traditionnelle du musée
L'image traditionnelle du musée est doublement statique : celle de collections immobiles (qui d'ailleurs ne rassemblent pas nécessairement des « objets morts ») ; celle de collections enfermées dans des murs, à propos desquelles certains conservateurs éprouvent l'obsession de la reconstitution de séries complètes. Les musées techniques se sont très tôt préoccupés, au-delà de la simple restauration des machines, de leur remise en mouvement, fût-ce au moyen d'autres sources d'énergie et de moteurs de faible puissance ; ils se sont efforcés également de restituer le travail et le processus de production, au moyen de maquettes, de mannequins ou d'acteurs et de démonstrateurs.
Toutefois l'impuissance majeure du musée traditionnel réside dans l'incapacité à reconstituer l'environnement même du travail industriel, un objectif impossible à atteindre à partir du seul objet technique, et dans le fait de laisser à la seule description écrite ou iconographique l'évocation des lieux et des hommes au travail. S'agissant d'activités artisanales ou d'ateliers domestiques, la tentation a souvent été de reconstruire artificiellement le cadre de travail en le meublant avec des outils recueillis ailleurs, et d'y assurer la démonstration du travail d'autrefois par les soins d'un personnel spécialisé, compétent et parfois...costumé. Les ateliers des villages de Colonial Williamsburg (Virginie, États-Unis) ou d'Ironbridge (Shropshire, Angleterre), les maquettes animées comme celle qui est visible aujourd'hui au musée de l'Homme et de l'Industrie du Creusot, expriment bien cette recherche d'une représentation de substitution. À ce stade, l'avantage a sans doute été d'aligner le musée technique ou industriel sur les musées des beaux-arts ou d'histoire, de pouvoir faire des musées de la science et de la technique de Londres, de Bochum, de Munich et de Washington, ou du musée des Arts et Métiers de Paris, les émules des grandes galeries nationales de peinture, de sculpture ou de sciences naturelles.
À cette conception, une première révolution a résolument tourné le dos. Elle s'est manifestée, principalement dans la seconde moitié du xxe siècle, par la création du musée de site. Désormais le concept de musée généraliste,[...]
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Écrit par
- Louis BERGERON : directeur d'études honoraire à l'École des hautes études en sciences sociales
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