ÉCOMUSÉES INDUSTRIELS
Le musée hors de ses murs
Il est aujourd'hui admis que la façon la plus valable de rendre compte de notre héritage technique et industriel est d'en sauvegarder in situ les traces matérielles ou l'aspect encore reconnaissable. Ainsi, les volumes architecturaux et les surfaces utilisés, la disposition non aléatoire des bâtiments, l'implantation et le mode d'insertion de l'usine dans son environnement, les équipements périphériques qui la desservaient, et dans la meilleure des hypothèses l'outillage qu'elle abritait permettront de reconstituer aussi fidèlement que possible un processus de production, une organisation du travail. La muséification sur place des activités industrielles passées apparaît donc désormais comme la solution idéale.
Dans ces conditions, la muséologie technique et industrielle contemporaine s'est trouvée bientôt confrontée à des problèmes d'une grande complexité. Le patrimoine qu'elle envisage désormais de sauvegarder et d'interpréter n'est plus seulement constitué d'objets de collection ; au-delà de son étrangeté ou de ce que l'on appelle volontiers sa laideur, c'est avant tout à un patrimoine bâti et occupant des emprises considérables qu'il s'apparente. Le problème n'a cessé de s'aggraver au fur et à mesure que les différentes catégories de l'industrie lourde ont connu, massivement et précipitamment, l'obsolescence et la ruine. On laissera de côté les questions, de plus en plus souvent liées, de la protection légale, de la maintenance et de la réutilisation à des fins autres qu'économiques des grands « mammouths » de la civilisation industrielle. Ceux d'entre eux qui parviennent à bénéficier d'une sauvegarde posent d'autres problèmes : d'intelligibilité, de présentation à un large éventail de publics, bref d'insertion dans le lot commun des biens culturels jusqu'ici accessibles. Ils suffisent à mobiliser la réflexion et l'inventivité des « gardiens du temple ».
Le cadre des écomusées est sans conteste le plus adapté à l'accomplissement de cette tâche. En effet leur principe même les amène à prendre en compte les dimensions spatiales et humaines du patrimoine industriel, à récupérer systématiquement le rapport que ce dernier a entretenu avec un territoire et sa population, particulièrement dans les zones où la mine, le haut-fourneau ou l'aciérie ont exercé sur des communautés aujourd'hui amoindries et disloquées un contrôle quasi exclusif. La coopération avec les habitants devient alors un élément indispensable de l'exercice de la profession de « conservateur ». L'historien de l'économie, des techniques, des matériaux a encore besoin du témoignage de l'ingénieur, du technicien, de l'ouvrier, des familles elles-mêmes pour préparer, tant que le passage du temps le permet, l'élaboration d'un corpus documentaire très diversifié sur lequel reposera la transmission de la mémoire de l'industrie.
Dans une telle perspective, le concept traditionnel du musée court le risque de se trouver dilué ou nié ; celui même d'écomusée est appelé à s'adapter à une « dilatation » qui exige le recours à d'autres structures, à d'autres techniques. Un site, si considérables que soient ses dimensions, n'est jamais que le cadre d'implantation d'une entreprise et d'une fonction technique particulières. Il ne permet pas à lui seul de rendre compte de tout un système, de toute une civilisation, de tout un bassin industriel. Non seulement il renvoie à de nombreux homologues, mais il s'insère historiquement dans un réseau de relations d'échanges hiérarchisées. Une seconde révolution se profile à l'horizon, à peine la première a-t-elle réussi à convaincre les traditionalistes de sa propre nécessité : c'est celle qui dès à présent donne[...]
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Écrit par
- Louis BERGERON : directeur d'études honoraire à l'École des hautes études en sciences sociales
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