ÉCOMUSÉES INDUSTRIELS
Du musée au parc régional
À ce point entre en jeu la notion de paysage. Pour l'historien du patrimoine industriel, la création de paysages spécifiques pour et par des industries qui ont altéré ou pollué souvent, mais aussi enrichi et remodelé l'environnement antérieur, ne saurait être mise en doute ; pas plus que la nécessité d'en préserver au moins des fragments pour faciliter la compréhension de ce qu'a été la vie des hommes au temps de la civilisation industrielle, en conservant les dimensions géographiques du phénomène. De la volonté d'atteindre ces objectifs est né un dialogue passionnant entre écologie et archéologie industrielle, dont le résultat sera sans doute d'enrichir la notion de patrimoine culturel tout en comblant un fossé idéologique à bien des égards artificiel.
L'usine n'est que le cœur d'un ensemble de créations étroitement rattachées à son développement économique, technique, et à l'organisation sociale qu'elle a secrétée et inscrite à son tour dans le paysage. Autour des hauts-fourneaux entrent, dans la composition du paysage, aussi bien la salle des compresseurs que le réseau des conduites évacuant au loin les gaz de combustion récupérés ; la gare, le faisceau des voies ferrées ou le port, aussi bien que les bâtiments de la direction ; les cités ouvrières aussi bien que les édifices affectés à divers services publics urbains dans ces sortes de colonies qui se sont organisées au voisinage des lieux du travail, sans oublier les villas patronales elles-mêmes. Or le modèle peut se répéter sur des dizaines, des centaines, des milliers de kilomètres carrés. Le traitement muséologique de la mémoire industrielle doit alors recourir à la multiplication (sélective et raisonnée) des musées de site, à leur mise en réseau, au recueil de tous les éléments techniques et architecturaux qui restent porteurs de sens et peuvent entrer dans la constitution d'un réseau de repères paysagers. Ce n'est plus la visite des étages et des salles d'un musée, c'est une série de circuits, de parcours de plein air, de routes touristiques aux itinéraires thématiques et balisés, dont les points d'ancrage peuvent parfaitement s'harmoniser avec une vie qui continue et se transforme, s'intégrer à des opérations de « requalification » de l'environnement, de « redéveloppement » urbain, participer même activement à de nouvelles formes d'économie et d'emploi. On atteint là les limites de ce qu'il paraît imaginable de faire pour préserver le lien entre des populations désormais en renouvellement, et le sens historique des lieux où elles vivent un quotidien différent ; les limites de ce que les institutions de médiation culturelle peuvent accomplir en vue de favoriser une osmose entre une culture appartenant désormais au passé, et celle qui émerge de nouvelles configurations socio-économiques.
L'U.N.E.S.C.O. encourage depuis plusieurs années la définition et la protection de paysages historiques et culturels d'intérêt universel. Les défenseurs du patrimoine industriel des États-Unis ont fait admettre par le législateur fédéral la création d'heritage corridors, extension en quelque sorte à l'échelle régionale de l'expérience réalisée avec succès dans certains districts industriels urbains (le plus célèbre étant celui de Lowell, Massachusetts, institué en 1978).
En Europe la dernière décennie du xxe siècle a vu le succès de l'opération menée sur près d'un millier de km2 au cœur de la Ruhr : celle de l'Emscher Park (du nom de l'un des cours d'eau les plus pollués de l'histoire industrielle, axe de cette fameuse zone minière et métallurgique). Le gouvernement fédéral, le Land et les grandes cités concernées ont soutenu une Internationale Bau Ausstellung[...]
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Écrit par
- Louis BERGERON : directeur d'études honoraire à l'École des hautes études en sciences sociales
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