ENVIRONNEMENT ÉCONOMIE DE L'
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Jusqu'au milieu des années 1980, l'économie de l'environnement et l'économie des ressources naturelles ont constitué deux disciplines qui se sont développées de façon indépendante. L'économie de l'environnement traite des modalités selon lesquelles peuvent être gérés (et éventuellement tempérés) les rejets, pollutions ou nuisances qu'entraînent les activités économiques. L'économie des ressources naturelles, quant à elle, s'intéresse à l'extraction des ressources naturelles (ensemble des biens non reproductibles par l'homme) et aux incidences des activités socio-économiques sur la reproduction des ressources naturelles.
Avec l'apparition des nouveaux risques environnementaux et la naissance du concept de développement durable, cette dissociation entre une économie de l'environnement et une économie des ressources naturelles est devenue moins pertinente. Il apparaît que la pollution peut contrecarrer la reproduction des ressources naturelles (les pluies acides et le changement climatique nuisent par exemple à la biodiversité) ; de même, l'extraction et la consommation de ressources naturelles accentuent la pollution (l'utilisation du charbon dans les centrales thermiques est en partie responsable des pluies acides et l'utilisation du pétrole via les carburants, est la principale source d'accroissement de l'effet de serre). Il devient dès lors nécessaire de prendre en compte ces interactions.
Le concept de capital naturel a favorisé la jonction des deux disciplines. Le capital naturel désigne l'ensemble des biens et services fournis par la nature, c'est-à-dire les ressources naturelles mais aussi les services écologiques tels que l'épuration permise par les océans, les grands équilibres bio-géochimiques, l'équilibre climatique, etc. La dégradation environnementale s'interprète dès lors comme une dépréciation du capital naturel dont l'économie de l'environnement a vocation à éclairer les modalités de gestion.
De la théorie des externalités aux droits de propriété : les fondements de l'économie de l'environnement
L'économie de l'environnement s'est développée sur la base d'un concept économique de référence, celui d'effet externe. C'est en termes d'externalité que s'interprète la nuisance engendrée par la pollution, ou plus généralement par la dégradation du capital naturel. La perte de bien-être qui en résulte est assimilée par la théorie économique à une perte d'utilité ou de satisfaction pour les agents économiques. Lorsque les mécanismes de régulation marchande n'intègrent pas une telle perte (situation de défaillance du marché), autrement dit, lorsque le jeu du marché ne permet pas sa compensation, alors se pose le « problème d'environnement » ou, plus généralement, le « problème de gestion du capital naturel ».
Le concept d'effet externe
Arthur Cecil Pigou, en 1920, donne de l'effet externe la définition suivante : « L'essence du phénomène est qu'une personne A, en même temps qu'elle fournit à une autre personne B un service déterminé pour lequel elle reçoit un paiement, procure par là même des avantages ou des inconvénients d'une nature telle qu'un paiement ne puisse être imposé à ceux qui en bénéficient ni une compensation prélevée au profit de ceux qui en souffrent ».
L'effet est parfaitement symétrique et peut ainsi être positif ou négatif : on parle d'économie externe si l'effet est positif et de déséconomie externe si l'effet est négatif. En matière d'économie de l'environnement, ce sont les effets externes négatifs (déséconomies externes) qui permettent de représenter les phénomènes de nuisance et de pollution. L'absence de compensation par un paiement exprime le caractère non marchand de l'économie ou de la déséconomie. Externe signifie ici extérieur à l'échange marchand.
L'économie ou la déséconomie externe s'analyse en termes de divergence entre coût privé et coût social ; ce dernier traduit un coût pour l'ensemble des agents économiques formant la collectivité. On peut considérer que toute activité économique a un coût. L'ensemble des coûts imposés par une activité à la collectivité constitue le coût social. Une partie de ce coût social est compensée par les paiements qu'effectue l'agent à l'origine de l'activité. Ce sont les coûts privés de l'agent. Il peut exister d'autres coûts imposés à d'autres agents sans qu'un paiement ne vienne opérer la moindre compensation : tels sont les coûts occasionnés par la pollution émise à l'occasion d'une activité de production industrielle. Une pollution de l'eau, par exemple, entraîne toute une série de coûts : perte du caractère esthétique d'un cours d'eau (perte d'aménités), impossibilité de pratiquer certains loisirs, dégradation de la qualité de l'eau, pertes dues à la mortalité des poissons, etc. Aucun de ces coûts n'est compensé pécuniairement. Pigou considère que les avantages ou les inconvénients « procurés » sans compensation pécuniaire peuvent néanmoins faire l'objet d'une évaluation monétaire. Dès lors, si ce coût (ou ce bénéfice) est pris en compte dans la somme des coûts (ou des bénéfices) qui déterminent le coût social, on voit que ce coût social est en réalité plus grand que le coût privé supporté par l'émetteur (ou plus petit dans le cas d'une économie externe positive). La prise en compte de l'effet externe dépend des préoccupations de chaque société et de la connaissance que celle-ci en a. Dès qu'une société accorde une signification aux coûts et dommages infligés par certaines activités et personnes à d'autres, elle reconnaît l'existence d'externalités.
Après l'ouvrage de Pigou, des essais de clarification ont été proposés. Ils reviennent tous à situer les externalités par rapport à l'optimum parétien, défini comme la situation hors de laquelle nul ne peut accroître ses gains sans diminuer ceux d'un autre. En d'autres termes, il s'est agi de discuter des mesures correctives prises pour supprimer (pour « internaliser ») les externalités et garantir le retour à l'optimum. Le débat s'est donc assez vite focalisé sur les modalités de cette internalisation.
L'internalisation pigovienne : la solution fiscale
À l'époque de Pigou, dans les années 1920, l'économie du bien-être enseigne que si la production d'une firme entraîne une nuisance quelconque affectant directement, et sans compensation possible par le marché, le bien-être d'autres agents économiques, le coût marginal social de la production est plus élevé que le coût de production marginal privé. Cet écart fait qu'on ne se trouve plus dans une situation correspondant à un optimum parétien. Le seul moyen de revenir à une situation optimale est de combler l'écart entre coût social et coût privé. C'est ce que l'on appelle l'internalisation de l'externalité. L'internalisation proposée par Pigou consiste à faire payer une taxe à l'émetteur de la nuisance (c'est-à-dire au responsable de la dépréciation du capital naturel), taxe (perçue par l'État) dont le montant doit être égal à la différence entre coût social et coût privé. L'internalisation de l'externalité, phénomène hors marché, se traduit donc par un paiement qui vient en quelque sorte donner un prix à la nuisance. On peut dire que l'instauration de cette taxe équivaut à faire prendre en compte la déséconomie parmi les coûts de l'émetteur.
Cette solution fiscale a suscité un débat. La position de Pigou n'implique, en effet, aucune espèce de compensation des dommages subis par la victime du fait de l'existence de l'externalité et le prélèvement fiscal suffit à assurer la disparition de cette dernière. Si on exige que le produit de la taxe compense la perte de bien-être subie par la victime, on entre dans un monde caractérisé par des relations bilatérales entre émetteur de la déséconomie externe et « victime ».
Le théorème de Coase et la négociation bilatérale
Pour Ronald Coase (1960), l'internalisation ne peut provenir que d'une négociation bilatérale entre émetteur et victime, c'est-à-dire d'un marchandage entre les agents économiques concernés, pourvu que le coût d'organisation d'une telle négociation ne soit pas prohibitif ou, en tout cas, qu'il ne dépasse pas le gain social qu'on peut en attendre.
Coase est préoccupé par le caractère unilatéral de la solution fiscale pigovienne. Il écrit : « La question est communément posée dans les termes suivants : A inflige un dommage à B et on doit décider comment restreindre les activités de A. Mais ceci est erroné. Nous sommes confrontés en réalité à un problème de nature réciproque. Éviter de léser B lésera A. La vraie question est de savoir si l'on doit permettre à A de léser B ou à B de léser A. »
Dans le cas d'une pollution issue de A et touchant B, si A possède les droits de propriété sur l'environnement (ou plus exactement sur le capital naturel en question), poursuit Coase, alors B, la victime, doit le dédommager pour l'empêcher de nuire. Si c'est B au contraire qui possède ces mêmes droits, A doit alors compenser les dommages subis indûment par B. Coase met ainsi l'accent sur les droits de propriété. Cet aspect est développé par John Dales qui fournit à la fois une définition nouvelle de l'externalité et un nouveau mode d'internalisation de cette dernière.
John Dales et l'échange de droits de propriété
Dales (1968) attribue l'existence des externalités à une cause exclusive : l'absence ou la mauvaise définition des droits de propriété sur les biens. Les externalités, qui sont des interactions hors échange marchand, correspondent à une carence des droits de propriété sur le capital naturel. On peut voir là une reprise de l'idée des classiques (développée notamment par Jean-Baptiste Say) considérant, conformément à la vieille conception du droit romain des « choses sans maître » (res nullius), l'air, l'eau, etc., comme des « biens libres », c'est-à-dire non appropriés et donc, non économiques. Il existe également des biens sur lesquels les droits de propriété sont « atténués ». C'est le cas des biens publics qui peuvent être consommés par tous sans rivalité (leur consommation par un agent ne diminue pas leur consommation par un autre) et sans exclusion, c'est-à-dire que les consommateurs ne peuvent pas exclure les autres consommateurs éventuels.
Si des droits de propriété exclusifs et transférables sont définis sur le capital naturel, les problèmes d'environnement peuvent effectivement se régler par la méthode déjà recommandée par Coase, à savoir la négociation bilatérale directe entre détenteurs de droits de propriété. Si tel n'est pas le cas, Dales propose d'établir un faisceau de droits de propriété exclusifs et transférables chaque fois que nécessaire sur les biens jusque-là considérés comme non appropriables et, en tant que tels, source d'externalités. Cette situation se rencontre lorsque les biens en question sont utilisés dans un but d'évacuation ou de stockage de déchets ou de ressources (eau, air, sol). Ces droits d'utilisation, qui constituent alors de véritables « droits à polluer », peuvent faire l'objet, comme tout droit de propriété, d'échange marchand sur un marché que Dales souhaite concurrentiel. Sur ce marché, organisé par exemple sur le modèle boursier, un prix d'équilibre va se fixer : il sera égal au coût marginal d'épuration pour un montant donné de pollution.
Il s'agit donc d'un autre mode d'internalisation de l'externalité. Comme cette dernière tire son origine d'une faillite des droits de propriété, la reconstitution de ceux-ci et leur échange marchand aboutissent à la fixation d'un prix d'équilibre qui réalise l'optimum parétien. À ce prix, l'externalité est réintégrée dans le calcul économique des agents et, de ce fait, disparaît en tant que phénomène hors marché.
Le contexte social et institutionnel des modes d'internalisation
Les raisonnements qui précèdent se heurtent à des difficultés, dont certaines sont directement liées au contexte social et institutionnel du mode d'internalisation. Quel est le dommage marginal ? Qui va recevoir les revenus de la taxe ou de la vente des permis ? La première question renvoie au délicat problème de l'évaluation monétaire (cf. L'évaluation économique du dommage environnemental). La seconde concerne les problèmes de droit, de justice, de responsabilité et d'équité. Dans toute situation de conflit social, les critères de choix sont multiples et il est difficile de trouver une solution satisfaisant à l'ensemble de ces critères. Des arbitrages et des compromis doivent souvent être opérés. Ainsi, le niveau d'une taxe environnementale (qualifiée souvent d'écotaxe) est habituellement établi à l'échelle de la collectivité et il est rare qu'on demande à l'industrie responsable d'assumer la responsabilité directe de la « totalité des coûts » des accidents chimiques ou des dommages écologiques. La négociation du niveau de dommage ou de risque jugé acceptable et de la manière d'obtenir une « internalisation » dépend aussi de la légitimité et de la responsabilité des différents acteurs impliqués.
De ce point de vue, la résolution des effets externes s'inscrit dans un processus sociopolitique (qu'on peut qualifier d'internalisation institutionnelle), dans lequel les confits émergent et doivent être résolus entre intérêts concurrents, entre représentations différentes des états futurs et entre individus et groupes ayant des systèmes de valeur, des principes de jugement et des visions du monde différents voire divergents.
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Écrit par
- Sylvie FAUCHEUX : professeur des Universités en sciences économiques, UMR.63 IRD - université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
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- RÉGLEMENTATION & RÈGLES
- COÛT D'OPPORTUNITÉ, économie
- DALES JOHN HARKNESS
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