ÉCONOMIE (Définition et nature) Une science trop humaine ?
Connaissance et lois en économie
Certes, les astronomes, pour ne citer qu'eux, ne font pas non plus d'expériences. Ils se servent cependant des résultats obtenus par les sciences qui en font, mais, surtout, accordent une place essentielle à l'observation. La régularité des phénomènes physiques, leur répétition, leur caractère universel (dans le temps et l'espace, du moins à une certaine échelle) permettent d'expliquer bon nombre de phénomènes et même d'énoncer des prédictions de grande qualité en astronomie.
La situation est fort différente en économie, où il est impossible de trouver des situations qui ne différeraient, pour l'essentiel, que par l'action d'un ou de quelques facteurs bien identifiés – premier pas vers l'établissement de relations causales, et donc de lois. C'est pourquoi il n'est pas possible de trouver, en économie, de lois qui prennent la forme de relations précises, et toujours vérifiées, entre deux ou plusieurs variables, toutes choses égales par ailleurs – cette dernière condition n'étant pratiquement jamais vérifiée, même approximativement. Les économistes créent toutefois la confusion en employant le mot « loi » là où il ne faudrait pas. Tel est le cas, par exemple, de la « loi de l'offre et de la demande », selon laquelle le prix d'un bien dont l'offre est supérieure à la demande tend à diminuer – ou à augmenter, dans le cas contraire. Dès qu'on veut en donner un contenu un peu plus précis, on s'aperçoit que cette « loi » est bien floue : qui fait varier le prix ? et comment ? ce prix est-il unique ? ne peut-il pas arriver que les demandeurs s'organisent et refusent de payer un prix plus élevé ? ou qu'ils reportent leur achat sur d'autres biens ? En fait, l'utilisation du verbe « tendre » est révélatrice de ce que peuvent être tout au plus les ambitions des économistes : déceler des tendances au sein des phénomènes étudiés.
Des tendances plutôt que des lois
Le mot « tendance » suggère une direction, un sens, mais pas un résultat certain. La tendance est elle-même la manifestation d'une loi, mais celle-ci n'apparaît pas clairement en raison de l'existence d'éléments perturbateurs non négligeables, qu'on peut qualifier de « contre-tendances », et dont il n'est pas possible d'isoler les effets. Ainsi, plutôt que de parler de « loi » d'égalisation des taux de profit (largement évoquée par David Ricardo, John Stuart Mill ou encore Karl Marx), on dira qu'il y a une « tendance », parce que cette égalisation peut demander du temps, et aussi des ressources, en collecte d'information et en comparaison des divers types de profits et des risques qui leur sont associés.
Un cas plus controversé est celui de la « baisse tendancielle du taux de profit » (énoncée par Karl Marx). L'idée est simple : si on pense que toute valeur vient du travail, et qu'avec le temps le travail accumulé (sous la forme de machines, d'équipement, de locaux, etc.) ou « travail mort » augmente par rapport au « travail vivant », alors le taux de profit (rapport d'une partie du travail vivant, le profit, et du travail « mort », accumulé) doit diminuer. Mais ce n'est là qu'une « tendance », qui peut être contrecarrée par une augmentation du profit (la part du travail vivant que s'approprient les capitalistes), ou par une diminution de la valeur du travail « accumulé » (les équipements obsolescents ou non utilisés). Le problème posé alors au théoricien, si la baisse du taux de profit n'est pas très nette, est celui de savoir si c'est en raison de l'existence de contre-tendances, ou si cela est dû au caractère erroné de la théorie, la tendance à la baisse n'existant pas. Comme l'expérience contrôlée ne permet pas de trancher, les deux points de vue peuvent continuer[...]
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Écrit par
- Bernard GUERRIEN : maître de conférences à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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