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ÉCONOMIE (Définition et nature) Une science trop humaine ?

Théorie économique et autoréalisation

Le discours des économistes, leurs prévisions, leurs spéculations se révèlent souvent erronés. Mais ils exercent aussi une influence plus ou moins grande sur les personnes auxquelles ils sont destinés, et dont l'action façonne la vie économique. Aux facteurs relativement stables que sont les goûts, les techniques disponibles, la répartition des ressources viennent s'ajouter, au moment de la décision, ces éléments fluctuants que sont les croyances de chacun (par exemple, sur le « climat des affaires » ou sur les perspectives futures). À cela s'ajoute le fait que l'État, les grandes entreprises, les intervenants en Bourse agissent en fonction de théories – qui prennent souvent la forme de modèles mathématiques – dont l'expression a une incidence, plus ou moins importante, sur la réalité (même si ce n'est pas celle qui est prévue par ces modèles). C'est cette action du subjectif, des croyances, sur le monde réel qu'on appelle, un peu abusivement, l'autoréalisation – celle-ci concerne en fait le cas très particulier où ce qui a été prévu se réalise effectivement, en raison même des actions de ceux qui prévoient.

Où est alors la « réalité », le « vrai » monde que la science se propose d'analyser, de comprendre, indépendamment des opinions et des croyances du scientifique ? Deux exemples, typiques, permettent de comprendre pourquoi la réponse à cette question ne va pas de soi. Supposons qu'on ait observé qu'un rebond de la Bourse, accompagné d'une baisse des taux d'intérêt et d'une hausse des dépenses des ménages, se soit traduit quatre fois sur cinq par une reprise de l'économie. Si les conditions (rebond, faible taux d'intérêt, hausse des dépenses) sont vérifiées à un moment donné, et si l'idée selon laquelle elles doivent entraîner une reprise est largement répandue, alors ceux qui partagent cette idée vont, par leurs actions, la provoquer effectivement. La reprise est donc tout autant une conséquence des croyances partagées à propos d'une relation causale que de cette relation elle-même (à supposer qu'elle existe vraiment).

Un autre exemple est donné par la Bourse elle-même, où les croyances des investisseurs jouent un rôle central. Prenons le cas du prix des « options », c'est-à-dire de la prime que quelqu'un doit payer à un moment donné pour avoir le droit d'acheter ou de vendre un titre (ou une devise, une marchandise, etc.) à une date future, à un prix fixé à l'avance. Cette prime va dépendre, notamment, des anticipations faites sur les fluctuations futures des cours boursiers (leur « volatilité »). C'est ainsi que Fisher Black et Myron Scholes (Prix Nobel d'économie en 1997) ont proposé une formule pour calculer le prix des options – en supposant notamment que les cours boursiers suivent une loi de Gauss de type « marche au hasard ». Si tous les intervenants sur les marchés boursiers adoptent cette formule, en attribuant la même valeur à ses paramètres, alors elle donnera très précisément le prix observé des options. Dira-t-on pour autant que le modèle de Black et Scholes explique parfaitement la réalité, comme si elle était indépendante de lui ? Non, bien sûr. On pourra, tout au plus, constater qu'il y a consensus entre les intervenants sur le prix des options − tous s'accordant sur le prix donné par la formule de Black et Scholes, qui joue le rôle d'une convention. L'interférence du subjectif et de l'objectif est ici maximale.

Les croyances des membres d'une société, les théories et les modèles des économistes – résultat de leurs croyances – sont des faits, des données, qui peuvent jouer un rôle important dans la vie économique. Bien qu'ils soient difficiles à cerner, toute démarche scientifique[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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  • MARITIMISATION DE L'ÉCONOMIE

    • Écrit par
    • 3 979 mots
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