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ÉCONOMIE (Définition et nature) Une science trop humaine ?

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Économie et idéologie

Le désir de prouver que la science économique serait différente des autres sciences humaines et sociales, parce qu'elle peut être mise sous forme mathématique conduit aussi à des aberrations. C'est ainsi que la théorie actuellement dominante sur la formation des prix a été à l'origine proposée dans les années 1870 par Léon Walras, qui cherchait surtout à déterminer des prix qui soient, selon lui, « justes », c'est-à-dire tels que les droits de chacun soient respectés. Pour cela, Walras a conçu une forme d'organisation sociale où les prix sont « criés » par une entité extérieure aux échangistes, et où il y a « tâtonnement » (sans échanges) jusqu'à parvenir aux prix « justes », lesquels se trouvent être ceux qui égalisent les offres et les demandes globales. La forme mathématique qui a été progressivement adoptée pour représenter ce système s'avère décrire une économie très centralisée, où celui qui propose et fait varier les prix joue un rôle essentiel, notamment en organisant les échanges (ceux-ci ne peuvent passer que par lui). Cette forme d'organisation très spéciale est toutefois nécessaire à la démonstration de ce qui est considéré comme le principal résultat de la théorie économique : il existe un système de prix qui, à ces prix, égalise l'offre et la demande. La démonstration de ce « théorème d'existence » – qui a valu le prix Nobel à ceux qui l'ont faite en premier, Kenneth Arrow et Gérard Debreu – est sans doute une belle prouesse technique, mais elle est aussi à l'origine d'une grande confusion, puisqu'elle est systématiquement présentée comme prouvant « mathématiquement » qu'un marché sans entraves – « parfait » – aboutit toujours à une situation souhaitable (où les choix des divers intervenants sont compatibles, et donc réalisables). Une conclusion absurde, puisque la démonstration suppose une forme d'organisation très centralisée, à l'opposé de l'idée qu'on se fait habituellement d'un système de marchés. Seul un planificateur peut éventuellement être intéressé par ce « théorème ». C'est pourtant sur ce dernier que s'appuie une bonne partie de l'économie théorique formalisée, qui prétend traiter des marchés.

Un autre exemple est donné par les modèles dits « à agent représentatif », très à la mode depuis les années 1990 (on songe ici à un autre Prix Nobel, Robert Lucas). Ces modèles supposent que l'évolution observée, « macroéconomique », de certaines des variables caractérisant une économie (tels le P.I.B., le niveau de l'emploi et des prix, la consommation et l'investissement) peut être assimilée au choix d'un individu unique (évidemment imaginaire), à la fois consommateur et producteur, qui décide de partager son temps disponible, présent et futur, entre travail et loisir, et ce qu'il produit entre consommation et investissement. Diverses techniques mathématiques sont alors mobilisées – dont l'optimisation de programmes non linéaires – pour déterminer le partage qui permet à cet individu de maximiser sa satisfaction présente et future. Le résultat obtenu est ensuite comparé à celui de l'économie dans son ensemble (tel qu'il apparaît dans les séries statistiques, concernant l'emploi, la production, etc.), en essayant de donner aux paramètres caractérisant l'« agent représentatif » des valeurs qui permettent de reproduire au mieux les évolutions observées.

Sans faire intervenir l'idéologie – ici, la croyance à la toute-puissance des mathématiques associée à celle des vertus du « marché » –, on ne peut guère expliquer que des personnes, par ailleurs très raisonnables, puissent consacrer leur temps et leur énergie à ces types de modèles.[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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