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ÉCONOMIE EXPÉRIMENTALE

Les limites de la méthode expérimentale en économie

Si l'économie expérimentale apparaît comme un instrument au service à la fois du chercheur et du décideur, il n'en demeure pas moins que la production de données en laboratoire requiert de respecter des principes très stricts. Il s'agit ainsi, selon Smith en 1982, de caractériser un système microéconomique qui précise le rôle de chaque acteur, les biens échangés, les dotations, la structure des préférences exprimées de chaque acteur et les conditions d'information. Ce système définit aussi une institution qui établit le langage de communication, en général sous forme de messages qui révèlent des offres, des seuils d'acceptation, des valeurs de réserve, et les conditions sous lesquelles ces messages se transforment en engagements irrévocables. Enfin, il devient possible d'observer les comportements des participants dans ce système.

Cela implique que, lors de l'expérience, les décisions soient prises de manière anonyme (cloisonnement des postes informatiques), dans un temps réduit, afin d'éviter la lassitude ou la fatigue, en respectant un principe d'incitation (les sujets doivent être véritablement rémunérés en fonction de leurs décisions et des décisions des agents avec lesquels ils interfèrent). Pour un même protocole expérimental, les sessions doivent être rapprochées de façon à éviter des fuites d'information entre les sujets potentiels. Cela pousse à constituer un laboratoire expérimental d'une taille suffisante pour réduire le nombre de sessions, dans la mesure où la taille minimale de l'échantillon d'une expérience dépasse fréquemment une centaine de sujets.

Par ailleurs, au-delà de l'anonymat, les expérimentations sont décontextualisées, ce qui les distingue d'un simple jeu de rôles. En effet, la meilleure façon de prendre en compte le rôle joué par l'histoire, le passé des acteurs, la nature des relations qu'ils entretiennent et dans lesquelles la vie économique et sociale se déroule, consiste précisément à organiser les interactions entre les participants sans effet de contexte. Par exemple, si l'on parvient à reproduire en laboratoire un mécanisme de grève alors que dans la réalité celle-ci paraît exclue, cela signifie a contrario qu'il y a d'autres déterminants (comme l'histoire des relations professionnelles) que les seules variables économiques du protocole expérimental pour appréhender la réalité économique et sociale.

Cet exposé rapide de la méthode ne manque pas de soulever déjà des remarques et des critiques. La question de l'intérêt de la rémunération des participants n'en est pas vraiment une dans la mesure où il est maintenant prouvé que des enjeux monétaires même faibles au regard des enjeux réels sont souvent suffisants pour restaurer les mobiles des comportements individuels et collectifs. La réplication de protocoles identiques avec des sujets provenant de pays à niveau de vie faible ou élevé constitue de ce point de vue un élément de preuve.

En revanche, la nécessaire réduction d'une situation économique, qui reste par nature difficile à délimiter, pousse à une restitution expérimentale par trop complexe. Dans ce cas, il est fort à craindre que l'analyse des comportements des sujets ne se réduise à l'étude de leur capacité de comprendre le protocole. L'économiste anglais Ken Binmore, en 1999, insistait pour que le problème soumis aux sujets non seulement soit simple en lui-même mais que sa présentation le fasse également paraître simple aux sujets.

Enfin, les expériences en laboratoire visent à reproduire artificiellement un contexte économique dans un laboratoire avec de vrais participants et des transactions monétaires réelles. Bien que cette méthode ait le mérite d'isoler l'objet d'étude et par conséquent[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités en économie, directeur du Groupe d'analyse et de théorie économique, C.N.R.S., université de Lyon-II, École normale supérieure, L.S.H.

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Test de rationalité économique - crédits : D.R.

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