ÉCONOMIE (Histoire de la pensée économique) Économie des conventions
Pour lire ces lignes, le lecteur doit partager une convention avec l'éditeur : on lit de gauche à droite et de haut en bas. Cette convention est arbitraire, dans la mesure où il existe, dans d'autres langues et systèmes d'écriture, d'autres solutions pour se coordonner. La genèse d'une convention est souvent méconnue et, dans le cas contraire, la connaissance de son histoire est sans effet sur son application. De plus, le respect de la convention n'est pas soutenu par des sanctions juridiques. Pour autant, les conventions sont des moyens efficaces de coordination des activités humaines.
Comme la coordination est l'un des thèmes majeurs de la science économique, les conventions en sont des objets, mais des objets qui renouvellent la conception de la coordination.
Des conventions de coordination aux représentations du collectif
La façon dont les conventions produisent de l'ordre social, bien au-delà des comportements du quotidien, pose de sérieux problèmes à l'économie, comme l'a montré John Maynard Keynes dans sa Théorie générale (1936) en soulignant l'influence d'une convention en vigueur sur le marché financier. Sur un tel marché, mieux vaut avoir tort avec tous que raison tout seul, car le prix qui se forme n'est pas le résultat de la décision d'un seul mais de celle de tous. Ainsi les spéculateurs fondent-ils nécessairement leurs décisions financières sur la représentation qu'ils se font de l'opinion moyenne. Que l'opinion du moment sur l'état des affaires soit pessimiste, et l'économie peut connaître une période durable de chômage.
Exploitant les intuitions keynésiennes sur le rôle des représentations, le courant de l'économie des conventions propose une théorie économique hétérodoxe qui se diffuse, en France, à partir des années 1980 (notamment avec un numéro spécial de la Revue économique de mars 1989). Ce programme de recherches soutient que l'on ne peut pas se coordonner sans se faire une idée du collectif que l'on forme avec l'autre. Cette représentation du collectif est elle-même conventionnelle, et il n'y a donc pas de coordination sans convention, quelle que soit la nature de la règle employée pour se coordonner.
Une règle ne se présente jamais comme une solution toute faite. Elle s'applique en fonction d'une représentation, de nature conventionnelle, du collectif. Cette théorie des règles, à laquelle s'attachent notamment les travaux d' Olivier Favereau (par exemple l'article « L'incomplétude n'est pas le problème, c'est la solution », publié dans l'ouvrage coordonné par Bénédicte Reynaud Les Limites de la rationalité, tome II : « Les Figures du collectif », 1997), peut être illustrée par les exemples suivants.
Les petites décisions quotidiennes, sur lesquelles s'appuie le logicien David K. Lewis (Convention : a Philosophical Study, 1969) pour tenter de définir l'aspect conventionnel du langage, sont une première source d'enseignements : on tend la main droite pour dire bonjour mais on pourrait se faire la bise ou se frotter le nez. La coordination s'appuie sur une vision du partenaire et de la situation, donc sur une idée normative de l'entité de référence. On ne dit pas bonjour de la même façon à son patron ou à ses enfants, dans un entretien d'embauche ou dans une soirée privée.
De même, quand les patients consultent un médecin, ils savent que son comportement est encadré par des règles déontologiques (comme celles du serment d'Hippocrate), évasives mais indispensables. Pour s'appliquer, elles ont besoin d'une interprétation en situation, tenant compte du collectif formé par le patient et le médecin et permettant d'évaluer la qualité du service rendu par le médecin (durée de la consultation ou dépassement d'honoraires).[...]
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Écrit par
- Philippe BATIFOULIER : maître de conférences en sciences économiques à l'université de Paris-X-Nanterre
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Autres références
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MARITIMISATION DE L'ÉCONOMIE
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- 3 979 mots
- 8 médias
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