ÉCONOMIE (Histoire de la pensée économique) Marginalisme
Trois auteurs, trois traditions
Rétrospectivement, c'est Jevons qui nous apparaît comme le plus marginaliste des marginalistes. Son système théorique est, de tous, le plus directement relié à la tradition utilitariste et au projet de fonder une théorie des prix à partir des principes de l'utilité marginale décroissante et de la peine marginale croissante (le travail est de plus en plus pénible). Ces caractéristiques se retrouvent chez tous les grands auteurs du marginalisme britannique (Ysidro Edgeworth et Philip Wicksteed notamment) et donnent à celui-ci une très grande unité, expliquant largement la domination qu'il a excercée.
Jevons, muni de l'hypothèse d'utilité marginale décroissante, propose une théorie de l'échange de deux marchandises entre deux agents ou deux groupes d'agents (les « corps commerçants »). Supposant au départ des prix d'équilibre donnés, il parvient à « l'équation de l'échange » (seconde loi de Gossen). Jevons pense qu'il est possible de dériver complètement la théorie de la valeur de la théorie de l'utilité marginale, en tenant compte de la désutilité marginale du travail et de ses effets sur l'offre de travail et donc sur la production.
Deuxième auteur fondateur, Carl Menger est aussi le père de ce qui est devenu la tradition économique autrichienne. Pour autant, son œuvre donnera lieu très tôt à des conflits d'interprétation et à des orientations théoriques et politiques divergentes. La pensée de Menger inaugure deux thèmes majeurs en Autriche : la théorie de l'échange et des prix d'une part, et la théorie du capital et de l'intérêt d'autre part.
Dans sa version autrichienne, la théorie des prix repose sur une opposition entre valeur et prix. La valeur est une grandeur subjective : c'est la mesure dans laquelle un bien est supposé satisfaire directement ou indirectement un besoin. Le prix est une grandeur objective qui s'exprime dans l'échange. Toute la question est de relier ces deux grandeurs conceptuellement différentes : il n'y a aucune raison pour que les prix de marché reflètent les évaluations subjectives individuelles des biens. Menger n'y parvient pas et c'est Eugen von Böhm-Bawerk dans Théorie positive du capital (1889) qui poursuit la tâche, au prix de modifications substantielles qui rapprochent l'analyse de celles de Jevons et de Walras. Il y présente l'investissement comme un détour de production, c'est-à-dire une renonciation temporaire à la consommation de biens pour produire d'autres biens. Le détour sera plus ou moins long selon l'impatience de la communauté à consommer. Au contraire, Friedrich von Wieser (Der Natürliche Wert, 1889), successeur de Menger à Vienne, oriente la théorie autrichienne vers une synthèse avec l'école historique allemande, ce qui rompt partiellement avec les principes de l'individualisme méthodologique de Menger.
Le point le plus original de la théorie de Menger, qui restera toujours le trait essentiel de l'école autrichienne, concerne la nature des comportements individuels et des institutions sociales. Les agents économiques sont certes intéressés, mais il ne peut déboucher de leur rationalité un comportement suffisamment stable pour identifier des lois économiques. Ils sont, en effet, soumis dans leurs choix, à un univers d'incertitude et d'information imparfaite qui échappe à l'analyse aussi bien organiciste que mécanique. Il s'agit là d'un point de divergence majeur avec Walras et Jevons.
La troisième branche du marginalisme est représentée par Léon Walras et la tradition qui le suit sous le nom d'école de Lausanne. Comme Jevons, Walras retrouve la seconde loi de Gossen (ce qu'il appelle « l'équation de satisfaction maxima »), et tout son raisonnement économique se fait à[...]
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Écrit par
- Jean-Sébastien LENFANT : maître de conférences en sciences économiques à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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