ÉCONOMIE MONDIALE 1998 : fin d'un cycle, début d'une nouvelle ère
Crise locale, crise globale
À cet effet de contagion monétaire s'ajoute un effet de contagion financière, les pertes enregistrées dans un pays à la suite d'une dévaluation encourageant les opérateurs à se désengager des marchés perçus comme les plus exposés au risque de change. Auto-entretenue par les comportements mimétiques des agents, la fuite des capitaux provoque l'effondrement des réserves de change, qui entraîne celui des taux de change. Celui-ci est d'autant plus brutal que les placements financiers à court terme jouaient un rôle important dans le financement extérieur passé et que le processus de libéralisation financière était avancé. De façon significative, la Chine et Taiwan, qui ont réussi à préserver une position courante excédentaire et qui n'ont pas démantelé leurs contrôles des changes, ont été épargnées par la crise financière en 1998.
La dévaluation des monnaies locales, qui a pu atteindre 80 p. 100 dans le cas de l'Indonésie, place à son tour des pans entiers de l'économie et notamment des systèmes financiers en situation de faillite virtuelle. En Thaïlande, en Indonésie et en Corée du Sud, la cessation de paiement n'a pu être évitée que par l'intervention de la communauté financière internationale, qui a dû mobiliser en un temps record plus de 100 milliards de dollars. L'action correctrice exigée par le F.M.I. en contrepartie du soutien international a accru à son tour la spirale récessive. Fidèle à sa conception traditionnelle de l'ajustement, le F.M.I. a en effet exigé de ces pays, outre des réformes structurelles (dans le secteur financier notamment), un resserrement des politiques budgétaires et monétaires. Si ces mesures ont permis de stabiliser un temps les taux de change, leur impact déflationniste fut tel que les gouvernements de la région ont été progressivement amenés à prendre leurs distances vis-à-vis du Fonds. En septembre 1998, la Malaisie décidait de réintroduire le contrôle des changes, s'autorisant ainsi à découpler sa politique monétaire de sa politique de change. Si elle devait se confirmer, cette évolution serait de nature à encourager à terme la création d'outils régionaux de régulation financière (le fameux Fonds monétaire asiatique proposé en 1997 par le Japon et bloqué jusqu'à présent par les États-Unis) et monétaire (un système monétaire asiatique pourrait devenir à l'ordre du jour), des outils de nature à remettre en cause la prépondérance des institutions de Bretton Woods dans la régulation financière internationale.
L'autre vecteur essentiel de diffusion de la crise asiatique est son impact sur le commerce mondial. Cet impact est double. Il porte à la fois sur le volume des échanges, dont la croissance est passée de 10 p. 100 en 1997 à moins de 4 p. 100 en 1998, et sur les prix des produits de base. Les cours des matières premières, exprimés en dollars, ont ainsi chuté de près de 15 p. 100 en 1998 tandis que le prix du pétrole s'effondrait, de 20 dollars le baril à l'automne 1997 à moins de 10 dollars à la mi-décembre 1998.
Reliant l'Orient à l'Occident, la Russie n'avait certes pas besoin des retombées de la crise asiatique pour susciter les inquiétudes les plus sérieuses. Dépendant depuis plusieurs années des capitaux étrangers pour financer un déficit budgétaire considérable, elle subit de plein fouet la chute du prix du pétrole et la contraction des marchés asiatiques, qui absorbaient jusque-là la majeure partie de son acier. À la mi-août 1998, soit moins d'un mois après la signature d'un accord avec le F.M.I. portant sur 22 milliards de dollars de nouveaux crédits, la spéculation se déchaînait contre le rouble, qui était dévalué et perdait en quelques semaines 75 p. 100 de sa valeur. Simultanément, les autorités déclaraient[...]
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Écrit par
- Jacques ADDA : maître assistant à l'université Bar-Ilan (Israël), département de sciences politiques et relations internationales
Classification
Média