ÉCONOMIE RÉGIONALE ET URBAINE
Pourquoi existe-t-il des villes ? Une vue d'ensemble
Le phénomène de centralité est aussi ancien que celui d'humanité. Il semble que les hommes aient ressenti très tôt le besoin de posséder des lieux de référence et de mémoire contribuant à défaire le caractère informe de l'espace. Les montagnes et les pics, puis les tumulus et les tombes jalonnent les itinéraires des nomades. Avec la révolution néolithique et la sédentarisation apparaissent les premiers villages. Très vite, de plus grosses agglomérations, que l'on peut qualifier de villes, voient le jour. On y retrouve presque partout des lieux de rencontre pour les populations urbaines – espace politique comme l'agora ou le palais, espace religieux comme le temple ou l'église. La création d'un surplus de produits agricoles permet leur échange contre des biens manufacturés, voire des services fournis par un nouveau type de travailleurs. Échoppes et étals des artisans s'installent à proximité des lieux de socialisation, créant des marchés dont le rôle va croître au fil du temps. Ces noyaux, amalgames d'activités diverses, vont constituer les centres des villes qui vont croître et se développer de manière aréolaire comme l'atteste l'exemple des enceintes successives de Paris et de nombreuses autres villes européennes et chinoises.
Économistes, géographes et historiens s'accordent pour considérer la ville comme l'institution sociale qui va accélérer – pour certains créer –, la division du travail et la spécialisation des tâches. Comme Adam Smith devait le remarquer, « le fermier des Highlands est à la fois le boucher, le boulanger et le brasseur de son ménage ». Dès qu'une ville atteint une certaine taille, chacun a la possibilité de se spécialiser et d'obtenir un niveau plus élevé d'efficacité dans ses activités professionnelles. La ville devient ainsi rapidement lieu d'échange et de marché. À partir d'une taille suffisamment grande, la concurrence apparaît car il y a la place pour plusieurs producteurs. Il n'est donc pas exagéré de penser la ville comme le creuset des économies modernes.
La ville préindustrielle
La division du travail est la source principale des rendements d'échelle. Selon les lieux et les dates, ceux-ci se manifestent différemment. Ils prennent d'abord la forme de biens collectifs locaux. À titre d'exemple, on rappellera que les villes de l'Europe médiévale se signalent principalement par deux types de biens collectifs : une frontière physique – un rempart – et un statut légal. La construction d'un rempart est un exemple type de bien soumis à des rendements croissants : si R est le rayon de la zone couverte, la longueur d'un mur circulaire est de 2R alors que la zone protégée admet une superficie égale à R2. Le rapport de la circonférence à la surface du cercle diminue au fur et à mesure que le rayon R augmente, permettant ainsi à un nombre proportionnellement plus élevé d'individus et de familles d'être protégés à un coût unitaire de construction constant.
Outre sa fonction défensive, le rempart est également le symbole de l'autonomie politique de la ville préindustrielle. On dira pendant longtemps que « l'air des villes rend libre ». Ce statut, qui peut être assimilé à un bien collectif local, fut le trait distinctif des villes européennes pendant des siècles et ne devait disparaître qu'avec la formation d'États-nations centralisés et puissants. Quand bien même ces deux fonctions de la ville ont perdu leur raison d'être dans les sociétés modernes, il n'en reste pas moins vrai que les villes contemporaines continuent d'offrir une large palette de services publics (enseignement, santé, culture, services sociaux) qui attirent de vastes populations. Aujourd’hui comme hier, les grandes villes sont avantagées, car[...]
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Écrit par
- Jacques THISSE : ancien professeur d'économie à l'École nationale des ponts et chaussées
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