ÉCONOMIE RÉGIONALE ET URBAINE
La structure des villes
Quand bien même des localisations naturelles se sont imposées pour certaines activités, par exemple la proximité de l'eau pour le travail des peaux, la répartition des populations et des activités au sein des villes obéit, dans un premier temps, à des logiques non économiques ; autrement dit, les règles d'affectation du sol sont principalement gouvernées par la coutume, la religion ou le pouvoir politique. Lorsque émergent la propriété privée des sols et le droit de les aliéner – toutes les sociétés n'ont pas fait l'expérience d'un marché foncier –, l'achat et la vente de parcelles vont conduire à une spécialisation croissante des localisations fondée sur leur rentabilité relative. En bref, l'existence de marchés fonciers devient l'élément structurant de l'espace urbain qui conduit à une séparation progressive des lieux de travail, de résidence et de loisir.
Marché foncier et utilisation du sol
Le prototype des modèles d'utilisation du sol est dû à Johann von Thünen. Dans un ouvrage conçu durant les premières années du xixe siècle et publié en 1826, Der Isolierte Staat in Beziehung auf Landwirtschaft und Nationalökonomie, il propose une modélisation très originale qui conserve une grande pertinence. Thünen habite une région agricole située dans le nord de l'Allemagne, dans un domaine proche de Rostock. L'observation l'amène à penser que l'ordonnancement des cultures autour de cette ville n'est pas dû au hasard mais obéit, au contraire, à des principes assez simples qu'il va s'efforcer de cerner. Thünen va poser un certain nombre d’hypothèses qui l’écartent a priori de la réalité, mais qui vont lui permettre de mettre en lumière les forces principales qui façonnent l’espace agricole de son temps. L’originalité de sa démarche est telle que Thünen est considéré par de nombreux historiens de la pensée économique comme un des fondateurs de la théorie économique moderne. Il suppose tout d’abord que la ville où les produits agricoles doivent être expédiés pour satisfaire les besoins de ses habitants est un point sans extension spatiale. Thünen suppose ensuite que la production d'une unité du bien appelé i – le blé ou le lait, par exemple – réclame l'emploi d'un nombre ai d'unités de sol ; ce coefficient mesure le caractère intensif ou extensif de la culture considérée. Le bien en question est ensuite transporté vers la ville, à un coût par unité de distance et de poids égal à ti unités monétaires, où il est écoulé au prix pi. Le rendement monétaire d’une unité de sol affecté à la culture i est donc égal à pi/ai. Toutefois, il faut déduire de ce rendement le coût de transport du bien considéré. Autrement dit, la culture i engendre un surplus par unité de surface si(r) = (pi – tir)/ai. Si la distance à la ville croît, les frais de transport augmentent et, par conséquent, le surplus engendré par une culture diminue, puisque son rendement à l'hectare est constant.
Dans la concurrence pour l'occupation du sol, les fermiers font des offres aux propriétaires fonciers afin de s'assurer les sols dont ils ont besoin pour leur activité de production. La valeur de ces offres varie avec la distance à la ville et ne peut dépasser le surplus qu'ils peuvent obtenir à une distance donnée. Lorsque les fermiers sont suffisamment nombreux pour que l'influence de chacun sur le résultat final soit négligeable, ces enchères conduisent à une répartition des cultures en anneaux concentriques. La distribution des cultures se fait par ordre décroissant des pentes ti/ai : à intensité identique, les cultures s'éloignent de la ville au fur et à mesure que leur coût de transport diminue ; à coût de transport identique, les cultures s'ordonnent en fonction inverse[...]
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Écrit par
- Jacques THISSE : ancien professeur d'économie à l'École nationale des ponts et chaussées
Classification
Média
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