ÉCONOMIE SOCIALE
L’économie sociale comme rupture avec la tradition économique
À la fin du xixe siècle, Gide et Walras font de l'économie sociale un des éléments d’une nouvelle théorie économique générale et s'attachent à définir son objet d'étude et à expliciter sa méthodologie. L'économie sociale est alors mise en avant par des économistes qui entendent marquer ainsi une rupture avec le modèle d'analyse dominant. Gide était réputé pour ses thèses hétérodoxes remettant en cause la légitimité supposée de la concurrence, du profit, de la propriété foncière ou du salariat. C'est en réaction aux économistes libéraux qui dominent le milieu académique qu'il crée en 1887 la Revue d'économie politique. Gide devient rapidement un économiste majeur, auteur de plusieurs ouvrages de référence, dont Principes d'économie politique, qui sera réédité vingt-six fois de son vivant et traduit dans dix-neuf langues.
Quant à Walras, même s'il est surtout connu aujourd'hui pour être un des fondateurs de l'analyse néo-classique, sa pensée s’inscrit dans une double rupture : avec la tradition classique, en préconisant l'introduction des mathématiques en économie, et avec une conception libérale de l'économie, en montrant que l'intervention étatique est nécessaire afin de conjuguer « l'intérêt et la justice ». Dès 1862, inspiré par les idées de John Stuart Mill, Walras distingue trois registres d'analyse économique : l'économie politique pure – le « domaine du vrai » –, qui s'attache à la définition et à l'identification des lois naturelles, l'économie politique appliquée – le « domaine de l'utile » –, qui désigne l'étude des moyens les plus économiques d'utilisation de ces lois naturelles, et l'économie sociale – le « domaine du juste » –, qui focalise son attention sur l'appréciation de la valeur morale de ces applications.
Gide reprendra ce découpage mais donnera au niveau « économie sociale » un périmètre beaucoup plus large que la vision walrassienne qui la limite essentiellement à l'intervention des pouvoirs publics. Chez Walras, l'économie sociale renvoie en effet à la question du principe de justice qui doit gouverner la répartition de la richesse entre les individus et l'État et non au rôle que peuvent jouer les institutions philanthropiques, mutualistes ou coopératives qu'il considère comme relevant du principe de charité ou de fraternité, c'est-à-dire du domaine de l'économie politique appliquée. Par la suite, Walras introduira une distinction entre l'économie sociale pure, qui s'attache à la définition de l'idéal de justice, et l'économie sociale appliquée, qui traite de l'application de cet idéal et l'amène à se pencher sur des questions plus spécifiques comme la propriété ou l'impôt).
Négligée au tournant du xxe siècle à la fois par Walras et par Gide qui constatera en 1911 que le terme demeure « trop vague », la construction théorique de l'économie sociale ne se poursuit pas et pâtit même de la confusion qui découle de l'utilisation du vocable dans des travaux ultérieurs qui s’inscrivent dans une perspective économique tout à fait différente, comme ceux de Gustav Cassel, qui publie The Theory of Social Economy (1918), ou de Friedrich von Wieser, auteur de Social Economics (1914).
Même si rien ne permet d’indiquer une continuité avec la réflexion de Gide et Walras sur l’économie sociale, la proximité est plus évidente chez Max Weber, qui utilise aussi la terminologie « économie sociale » (Sozialökonomie) en 1909. Le rapprochement est d’autant plus intéressant que Weber se place, comme Gide et Walras, dans la perspective d’une théorie économique générale, dont les champs[...]
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Écrit par
- Éric BIDET : maître de conférences à l'université du Mans
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