ÉCONOMIE SOCIALE
L'économie sociale comme secteur économique
L' approche contemporaine de l'économie sociale considère celle-ci comme un secteur spécifique. C'est une construction d'inspiration française qui se concentre sur l'analyse de l'économie sociale en tant que regroupement d'organisations économiques spécifiques, distinctes à la fois des entreprises capitalistes et des administrations publiques. Pour marquer cette double distinction, dans certains pays ou chez certains auteurs, les expressions « tiers-secteur » ou « troisième secteur » sont également utilisées. Ce type d'approche a donné lieu à plusieurs courants, recouvrant des objets plus ou moins distincts et utilisant des terminologies différentes selon les sensibilités et les contextes juridiques et fiscaux propres à chaque pays : secteur à but non lucratif (nonprofit sector) aux États-Unis, secteur volontaire (voluntary sector) au Royaume-Uni, économie populaire dans les pays d'Amérique latine, économie communautaire au Canada.
Le rapport que rédige Charles Gide lors de l'Exposition universelle de 1900 marque déjà une volonté d'identifier un ensemble d'organisations et de pratiques et oriente ainsi l'évolution du vocable économie sociale vers son sens « moderne ». C'est ensuite, en 1935, l'ouvrage de Georges Fauquet sur le secteur coopératif qui donne une formalisation plus théorique à cette orientation. Puis la combinaison de facteurs politiques (l'arrivée au pouvoir des socialistes en France en 1981) et institutionnels (la volonté des organisations elles-mêmes de se rapprocher), à quoi s'ajoute la rencontre entre Henri Desroche et Michel Rocard, fournissent à cette approche la légitimité et la reconnaissance suffisantes pour s'imposer sur le plan légal.
Le constat d'un double échec
L 'analyse de l'entreprise a été presque exclusivement développée en référence au modèle de l'entreprise de capitaux, dont l'objectif ultime est de maximiser son profit et le dividende qu'elle verse à ses actionnaires (modèle de la corporate governance). Pourtant, dès les années 1970, des travaux comme ceux de Burton Weisbrod, Estelle James ou Henry Hansmann ont montré qu'il existait certaines situations dans lesquelles l'entreprise à but non lucratif pouvait apporter une réponse plus satisfaisante que l'entreprise de capitaux traditionnelle ou que l'entreprise publique généralement envisagée comme seule alternative aux situations d'échecs du marché.
Ces travaux ont notamment mis en avant l'inefficacité des entreprises classiques et de l'État dans certaines situations de demandes non solvables ou d'asymétries d'information (inégalité dans l'accès à l'information entraînant une incertitude sur les caractéristiques du service acheté). Dans ce type de situations, le marché de concurrence pure et parfaite, qui néglige les demandes non solvables et suppose égal l'accès à l'information, et le secteur public, qui n'apporte une réponse qu'aux préférences les plus largement partagées dans la population (celles de l'électeur « médian »), ne permettent ni l'un ni l'autre d'aboutir à une allocation optimale des ressources. Les organisations d'économie sociale, parce qu'elles sont parfois capables de produire à moindre coût et sont perçues comme dignes de confiance, apparaissent alors de nature à fournir une réponse plus satisfaisante. L'analyse historique montre effectivement que les organisations d'économie sociale émergent le plus souvent pour répondre à des besoins non satisfaits et remédier à certaines insuffisances du modèle dominant. Au xixe siècle, les coopératives de consommateurs sont créées pour permettre aux classes laborieuses de se procurer certains biens essentiels[...]
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Écrit par
- Éric BIDET : maître de conférences à l'université du Mans
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