ÉCOSYSTÈMES
La dimension temporelle des écosystèmes
L'écosystème est le résultat d'interactions multiples au sein du monde vivant et entre le monde vivant et son milieu. Celles-ci ne sont pas constantes dans l'espace et dans le temps. Elles varient en fonction des conditions de l'environnement (facteurs physico-chimiques) et de l'identité des espèces présentes. Chaque espèce modifie nécessairement son milieu par sa seule présence et par le prélèvement des ressources qu'elle opère pour se développer et se reproduire, sans oublier ces espèces qualifiées d’espèces ingénieurs (comme le termite ou le castor) qui, en raison de certains traits comportementaux particuliers, modifient activement leur milieu de vie à leur profit et, souvent, au profit d’autres espèces. Chaque espèce influe donc sur les conditions de vie des autres espèces. De ce fait, tout change sans cesse. L'écosystème est donc un ensemble hautement dynamique et constitué de nombreux sous-systèmes. C'est tellement vrai qu'il n'existe pas deux écosystèmes identiques. Certains scientifiques se demandent si les écosystèmes ne résultent pas avant tout de l'assemblage au hasard d'espèces qui auraient pu se trouver ailleurs. Il est vrai que la présence ou l'absence de telle ou telle espèce dans un écosystème est dépendante de sa capacité de dispersion et de la distance qui sépare son écosystème d’origine de son nouvel écosystème d’adoption. Mais il est vrai aussi que chaque espèce a évolué dans un environnement donné, qu'elle présente de meilleures performances et une meilleure capacité à se maintenir (une meilleure valeur sélective) dans un environnement plutôt que dans un autre. Or l'environnement d'une espèce est aussi constitué d'autres espèces, ce qui signifie qu'une espèce donnée a plus de chances de se maintenir lorsqu'elle est insérée dans telle communauté d'espèces plutôt que dans telle autre. On peut d'ailleurs en dire autant pour l'environnement physique, très largement contrôlé par les communautés vivantes, une communauté d'espèces préparant éventuellement le terrain pour une autre, mais pas n'importe laquelle, qui s'installera ultérieurement.
Ce genre de considération conduit à penser qu'un écosystème figé est tout simplement inconcevable, ce qui est confirmé par l'observation de la transformation progressive des écosystèmes dans le temps. On parle de succession temporelle des écosystèmes. L'idée est que dans des conditions macro-environnementales données (type de climat, nature du sous-sol), si on laisse faire la nature, et quel que soit le point de départ, on arrivera à un état final prévisible, appelé climax. Si on part d'un sol nu en plaine française ou d'une prairie, on finira par arriver, en un peu plus d'une centaine d'années, à une forêt de hêtres ou bien de chênes mélangés avec des charmes. Pour qu'il y ait succession de végétations en un point, il faut bien sûr que les espèces de chaque étape soient disponibles à proximité. Or chaque étape est compatible avec certaines espèces et incompatible avec d'autres. Cela signifie que si une vaste surface forestière atteignait le stade climax et qu'elle était frappée par une perturbation majeure (incendie, tornade, maladie), alors le système ne redémarrerait pas, car il n'y aurait pas à proximité d'espèces capables de s'installer dans le nouvel environnement créé par la perturbation. La théorie de la succession des écosystèmes et le concept de climax ne fonctionnent donc que dans un espace hétérogène. C'est bien ce que l'on observe dans la nature : une forêt n'est jamais homogène, elle est constituée d'une mosaïque de différents sous-écosystèmes typiques des diverses étapes d'une trajectoire qui peut effectivement conduire d'un sol nu à une forêt mature.[...]
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Écrit par
- Luc ABBADIE : professeur d'écologie, Sorbonne université, directeur de l'Institut de la transition Environnementale, Sorbonne université
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