ÉCRIT ET ORAL (linguistique)
Si l'origine du langage et donc des langues remonte à la nuit des temps, on peut raisonnablement postuler que, il y a 100 000 ans, Homo sapiens sapiens parlait déjà un langage parfaitement organisé. La naissance de l'écriture, quant à elle, remonte à environ 5 000 ans (chez les Sumériens et les Égyptiens). Le fossé entre ces deux ordres de datation suffit à révéler le caractère fondamentalement oral des langues. Ce que confirme l'existence de très nombreuses langues dites « à tradition orale », c'est-à-dire sans forme écrite : de nos jours encore, la majorité des êtres humains parlent sans savoir écrire. Par ailleurs, il n'est pas inutile de rappeler que le jeune enfant apprend à parler avant d'apprendre à écrire (la lecture double la parole, jamais l'inverse).
Ce caractère vocal du langage tend parfois à être oublié, en particulier dans les pays d'anciennes civilisations où, depuis plusieurs millénaires, on recourt souvent à des signes écrits (correspondant aux signes vocaux), pour conserver de façon durable un contenu. D'où le prestige accordé à la chose écrite, et le nom de « littérature » (de littera, « lettre ») donné aux œuvres considérées comme fondement de la culture.
Pour sa part, la tradition linguistique a toujours insisté sur le caractère vocal du langage. Au xixe siècle, c'est l'évolution phonétique qui a été désignée comme moteur des changements diachroniques. Pour Ferdinand de Saussure, au début du xxe siècle, la face « signifiant » du signe linguistique (par opposition à la face « signifié ») est bien une « image acoustique ». À sa suite, la tradition structuraliste insistera sur le fait que « les signes du langage humain sont en priorité vocaux » (André Martinet, Éléments de linguistique générale, 1960). D'où une méthodologie de description des langues commençant toujours par l'étape de la phonétique (établissement des sons de la langue) puis de la phonologie (identification des éléments phoniques distinctifs dans la langue, ou « phonèmes »). Toutes les grandes théories linguistiques se sont donné pour objectif de représenter les différents niveaux d'analyse permettant de relier les « sons » aux « sens », et inversement.
Dans la pratique, cela s'est traduit par une coupure de fait entre l'étude des unités dites de « seconde articulation » (unités dites phonématiques dépourvues de sens) et celle des unités dites de « première articulation » (unités dites morphématiques douées de sens). On peut remarquer que le caractère vocal des langues n'a guère été pris en compte, s'agissant des unités de première articulation : à l'exception de certains travaux de « morpho-phonologie », les linguistes ont souvent eu tendance à considérer que ce caractère vocal concernait peu les morphèmes dans leur forme (morphologie), et pas du tout dans leurs combinaisons (syntaxe) ni dans leur sens (sémantique).
Pourtant, en marge de cette tradition, un certain nombre de travaux ont été consacrés, à l'écrit d'une part, et à l'oral de l'autre, abordés dans leur mode d'organisation spécifique. Si les systèmes d'écriture, en tant que codes de transcription de la forme phonique et /ou représentations du sens ou du référent (pictogrammes, idéogrammes, transcriptions syllabiques ou alphabétiques...) ont fait, de longue date, l'objet d'études historiques consacrées à leur déchiffrement et à leur évolution, en revanche ce n'est qu'à une date relativement récente que la linguistique s'est penchée sur le fonctionnement propre de la langue écrite, pour tenter d'en découvrir les règles et les comparer à celles de la langue orale. Dans ce domaine, les travaux les plus importants sur les formes du français ont été réalisés par Nina Catach dans [...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Catherine FUCHS : directrice de recherche émérite au CNRS