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ÉCRITS DE LINGUISTIQUE GÉNÉRALE (F. de Saussure)

Peu de carrières scientifiques ont été aussi étranges que celle de Saussure. Après l'éclat du Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes (1878), puis la thèse, le jeune docteur est d'abord chargé de cours aux Hautes Études à Paris. Il revient à Genève en 1891 pour enseigner les langues indo-européennes, et enfin la linguistique générale à partir de 1906. Saussure explore de multiples voies, mais publie peu, par exigence intellectuelle. Il meurt en 1913, sans avoir guère rompu sa retenue. Il sera connu d'un public plus large quand ses collègues, Charles Bally et Albert Sechehaye, rassembleront notes et témoignages divers et publieront en 1916, le Cours de linguistique générale, appelé à devenir la doxa d'une nouvelle linguistique.

Après la disparition de Sechehaye en 1946, et de Bally en 1947, Robert Godel (1957) puis Rudolf Engler (1974) vont éclairer le texte du Cours à partir de multiples manuscrits inédits ; on apprend à saisir l'étendue des curiosités de Saussure, Starobinski fait connaître sa réflexion sur les Anagrammes, on découvre les travaux sur les mythes, les Nibelungen, en particulier..

Il a pu sembler alors, rétrospectivement, que l'essentiel de la pensée théorique de Saussure avait été simplifiée par les premiers éditeurs du Cours de linguistique générale. Il valait la peine de reprendre l'ensemble ; c'est à ce travail de reconstitution que s'est attelé Simon Bouquet, appuyé sur l'érudit expérimenté qu'est Rudolf Engler. Il a profité d'une découverte essentielle, tout un lot de manuscrits retrouvés en 1996. Bouquet les a confrontés aux manuscrits déjà publiés pour construire ces Écrits de linguistique générale (Gallimard, Paris, 2002). Pièce maîtresse des découvertes de 1996 : un travail d'ensemble intitulé « De l'essence double du langage », qui vise à constituer une « Science du langage », et à l'inscrire, par un effort critique, dans une philosophie des sciences. La principale idée forte de cette suite de fragments est que toute analyse linguistique repose sur des oppositions qui dégagent des valeurs. À l'opposé du matériel des sciences, jamais une entité n'est simple, puisqu'il faut tenir compte à la fois du signe et de la signification. Saussure écrit : « Il est faux (et impraticable) d'opposer la forme et le sens. Ce qui est juste, en revanche, c'est d'opposer la figure vocale d'une part et la forme-sens d'autre part. » Ce qui conduit à envisager un système en perpétuel rééquilibrage, fondé sur des différences qui jouent comme des négativités. Un véritable continuum qui nie l'idée de changement.

La pente de Saussure, c'est d'appréhender la linguistique dans toute son ampleur, jusqu'à aboutir à une science des signes au sein de la vie sociale : une sémiologie linguistique. De fait, le texte découvert en 1996 range sans ambiguïté sous le terme de sémiologie « morphologie, grammaire, syntaxe, synonymie, rhétorique, stylistique, lexicologie, etc. ». Ce qui implique la possibilité de construire une linguistique de la parole, « force active et origine véritable des phénomènes ». Et permet à Saussure de se situer dans la grande tradition séculaire, grecque principalement, des analyses de la langue. Cela dans une rédaction qui n'est qu'à lui : des phrases interrompues, d'autres fulgurantes (« Le signe est un fait de conscience pur »), ou graves, comme des sentences morales.

En somme, on se trouve placé ici au centre du laboratoire central saussurien, avec ses inflexions, ses hésitations, et le rêve lointain d'une implication logique. On suit les tâtonnements, comme ces néologismes de nomenclature d'autant plus fréquents que le maître ne leur accorde qu'une importance mineure : le sème, le parasème et l'aposème,[...]

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