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ÉCRITS ET PROPOS, Willem de Kooning Fiche de lecture

Avec Jackson Pollock, Barnett Newman, Mark Rothko ou Franz Kline, Willem De Kooning (1904-1997) est l'une des figures centrales de la génération d'artistes américains au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Pour ceux qui furent appelés les expressionnistes abstraits cette dénomination n'allait toutefois pas de soi, et De Kooning résuma parfaitement leur position en 1950. « Il est désastreux de nous nommer nous-mêmes », déclara-t-il ; laissant donc à d'autres, conservateurs, critiques et historiens, le soin de procéder au baptême. « Personnellement, disait-il encore, je n'ai besoin d'aucun mouvement. [...] De tous les mouvements, c'est le cubisme que je préfère. Il y avait cette atmosphère merveilleuse, fragile, de réflexion [...]. Le cubisme est devenu un mouvement, il ne s'est pas posé comme tel. Il y a une force en lui, mais ce n'était pas un „mouvement forcé“. » À ce titre, l'une des personnalités les plus marquantes du xxe siècle restait selon lui Duchamp : « un mouvement à lui tout seul[a one man movement] » impliquant « que chaque artiste peut faire ce qu'il pense devoir faire – un mouvement pour chaque personne et ouvert à tous ».

Slipping Glimpser

Les Écrits et propos de l'artiste, publiés à Paris par l'École nationale supérieur des beaux-arts en 1992, constituent en quelque sorte le manifeste de ce que l'on pourrait nommer le « De Koonisme » – exemplaire de la position typiquement individualiste de beaucoup d'artistes d'après guerre. Comme le signale la préface, cet ouvrage constitue le recueil le plus complet de textes de l'artiste. En effet, seule une édition anglo-saxonne très partielle et très indigente de ses écrits existe, comme si le pays dans lequel De Kooning était arrivé clandestinement en 1926, et pour lequel il avait quitté sa Hollande natale, devait demeurer insensible au paradoxe qu'il avait fait sien : « Il n'y a rien de certain au sujet de l'art sinon que c'est un mot [...]. L'art en soi, c'est la partie éternellement muette dont on peut parler éternellement. » Au contraire, Marie-Anne Sichère, la responsable de cette anthologie impressionnante des propos de l'artiste, a pris De Kooning au mot. On lui doit ainsi de pouvoir accéder, selon le plan de l'ouvrage, aux « écrits » proprement dits, aux « discussions » (propos recueillis à l'occasion d'un symposium en 1950, puis en 1959 pour les besoins d'un documentaire), aux « entretiens » qu'il accorda à la presse, et enfin aux commentaires rapportés dans divers articles et publications dont les sources semblaient suffisamment crédibles. Peu de publications de ce type sont aussi exhaustives. L'ensemble, presque sans faille, inclut même en totalité certains entretiens restés partiellement inédits, ou encore ceux que l'artiste accorda à la presse hollandaise et qui sont généralement laissés de côté.

Par bien des aspects, remarque Yves Michaud dans l'Introduction de l'ouvrage, le langage de De Kooning, n'est pas sans analogie avec sa peinture. Comme lorsqu'il invente « l'expression énigmatique et quasiment intraduisible de slipping glimpser, de regardeur fugitif qui glisse ». Certes, les propos de l'artiste sont souvent insaisissables, glissants, déroutants. Il n'est toutefois pas très satisfaisant d'attribuer cet heureux glissement sémantique à « l'usage à la fois adroit et maladroit » que l'artiste fait de la notion de glimpse (coup d'œil) admettant que « l'anglais n'est pas sa langue maternelle et [que] le hollandais n'est plus [sa] langue ». Or c'est la traduction qui est parfois maladroite : quand le peintre explique qu'un de ses tableaux est achevé lorsque I paint myself out of the picture on est[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Brown, Rhode Island (États-Unis)

Classification

Média

Willem De Kooning - crédits : Ben Van Meerondonk/ Hulton Archive/ Getty Images

Willem De Kooning