ÉCRITURE
L'écriture électronique
Toute écriture est concernée par la technologie qui la matérialise : stylet, stylo, plombs d'imprimerie, etc. Non seulement parce que ces différents outillages provoquent des conséquences concrètes dans les sociétés où l'écriture est utilisée (sans l'imprimerie il n'y aurait pas d'économie du livre), mais également, et peut-être davantage encore parce que la technologie employée influe directement sur les effets fondamentaux de l'écriture comme technique de conservation et de partage du sens. Si l'imprimerie a totalement bouleversé les économies d'échange et de transmission antérieures à son apparition, l'électronique provoque aussi des transformations fondamentales, aux conséquences tout aussi importantes.
Une écriture immatérielle
Les changements introduits par le traitement informatique de l'écriture sont d'abord matériels. Ils découlent des particularités de constitution et d'exploitation du signal électronique. L'électronique ne sait traiter que des codes binaires, des séquences de 0 ou de 1 : le courant électrique passe ou ne passe pas. L'écriture électronique s'apparente à un alphabet morse pauvre ne disposant même pas de la distinction longue/brève. Tous les signes complexes, tels ceux des alphabets des langues naturelles, sont traduits sous forme de suites codées de 0 et de 1 illisibles pour un lecteur humain sans programme spécialisé. Sur un écran d'ordinateur, une trace quelconque, une lettre n'est qu'une matrice de points pouvant prendre des valeurs colorées. Ces signes, ouverts à des opérations numériques, sont interchangeables. Passer de la lettre « d » à la lettre « a » ou à n'importe quel autre dessin, n'est que lui faire subir une opération mathématique. Un mot quelconque d'une langue, un dessin sont des séquences de chiffres. Leur nature profonde est virtuelle, en attente des divers traitements qui les rendront perceptibles. Dans les mémoires des ordinateurs, le dessin d'un iguane n'est pas un iguane ; l'écriture du mot iguane n'est pas la séquence graphique « i.g.u.a.n.e »... La matérialité visible du signe est trompeuse, car elle n'est que le produit d'opérations abstraites prédéfinies lui attribuant une existence temporaire pouvant toujours être soumise à de nouvelles opérations. On peut ainsi remplacer automatiquement, en temps réel, tous les « a » d'un texte par n'importe quelle autre lettre, faire placer des « s » à la fin des mots, ajouter des mots, en remplacer par d'autres, etc. On peut modifier un dessin, le faire agrandir, le faire réduire, le faire transformer, l'ajouter à d'autres, le faire bouger, apparaître, disparaître, etc. La séparation entre la lettre en tant que signe codé préconstitué et le dessin s'estompe. Les tablettes graphiques ou la reconnaissance optique de caractères abolissent même la traditionnelle séparation technologique entre écriture manuscrite et mécanique et permettent, à partir des traces émises par un capteur, de transformer les mouvements d'une main dans les codes typographiques choisis par l'utilisateur. Il y a dématérialisation du signe : le signe lu n'est qu'une des manifestations superficielles, à un moment donné, d'une infinité d'opérations sur un codage profond auquel le lecteur n'a pas normalement accès. Matérialisations virtuelles toutes inscrites dans les possibilités du codage. L'écriture informatique est ainsi, avant tout, un ensemble de conventions, de codes et de normes. L'écriture lue est toujours le résultat d'opérations définies par diverses couches d'écritures sous-jacentes : langage machine, langages système, langages d'interprétation, normes des logiciels, etc. Ainsi, si n'importe[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre BALPE : écrivain, professeur émérite des Universités
- Anne-Marie CHRISTIN : professeur à l'université de Paris-VII-Denis Diderot, directeur du Centre d'étude de l'écriture et de l'image
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