ÉCRIVAINS (A. Volodine) Fiche de lecture
L 'œuvre d'Antoine Volodine est absolument à lire. Voilà une affirmation qui n'a plus à être justifiée mais qui doit être ironiquement confrontée à la réception des trois ouvrages (Écrivains, Onze Rêves de suie, Les aigles puent) parus à la rentrée de 2010. Volodine n'a pas démérité, mais après avoir publié pas moins de trente-six livres, il n'a pas retenu l'attention d'un jury automnal. Ce n'est pas tant la possibilité d'un prix qui est ici en question que celle qu'il offre à un écrivain de vivre du produit de son travail, de rencontrer des lecteurs et d'offrir la preuve que la fiction en langue française possède une force tangible. Comme si une part de la littérature restait hors champ, faisant place à des productions savamment mises en scène comme des marchandises.
La parution de ces trois livres ne doit pas occulter cette question, qui résonne singulièrement dès qu'on se plonge dans l'un d'eux : Écrivains (Seuil), le seul que l'auteur signe « Antoine Volodine ». S'il nous a habitués à montrer comment survivre dans un univers ravagé par les contradictions du politique et les ruses de l'économie et à résister au cynisme mondialisé, n'y poserait-il pas une question centrale : que veut dire être écrivain en France en 2010 ?
La question de l'écriture chez Antoine Volodine s'est toujours déployée entre réel et fiction. Son « art de raconter » a pris la forme indirecte du roman. Mais, si on met toujours en avant les mêmes thèmes (pseudonyme, cryptage, etc.), on ne voit pas qu'Antoine Volodine a rompu avec une pratique ordinaire du pseudonymat, pour atteindre autre chose : une littérature anonyme qui « dit le monde ». Volodine n'existe pas, qu'on le sache. Seul un écrivain dont le véritable patronyme est son affaire et non la nôtre, endosse cette identité pour des travaux littéraires. Dans cette esthétique du ventriloquisme où le « pédagogue » fait parler une poupée de bois, on croit encore aujourd'hui que c'est le tas de chiffon qui parle.
Ici, sept nouvelles offrent, sous forme d'anamorphoses, autant de portraits de l'écrivain. Portrait de l'artiste en ex-terroriste qui rate éternellement son suicide ; évocation d'une militante qui discourt dans la solitude carcérale et fait l'appel des morts. Retour aux enfances de la fiction avec la découverte d'une injonction prophétique, « comancer », retrouvée sur un protège-cahier ; parodie de « remerciements » d'auteurs, caricature du plus haut comique de la pose littéraire ; suivent deux révélations sur l'écriture post-exotique : l'une s'intéresse à « la stratégie du silence dans l'œuvre de Bogdan Tarassiev », l'autre sur « la théorie de l'image selon Maria Trois-Cent-Treize ». L'ensemble s'achève sur un cas d'autisme littéraire avec « Demain aura été un beau dimanche ».
Ce recueil est écrit contre les présupposés qui accompagnent généralement la posture de l'écrivain. Volodine a toujours affirmé une intime proximité avec son monde de papier en y choisissant son site. On a cru, qu'il s'agissait là d'une figure de style, mais c'est bien l'une des singularités fortes de Volodine que de revendiquer à sa manière la mort de l'auteur. Il n'y a pas ici d'« écriture automatique » au sens surréaliste mais une affirmation d'un sujet pulvérisé par ses doubles et qui écrit par-delà les mirages de l'identité et de la notion d'auteur. L'activité littéraire de Volodine cherche à atteindre l'irreprésentable.
Tous les personnages d'Écrivains affirment une seule chose : la vanité et la défaite de la littérature, le constat de son impuissance. C'est ce que dit Linda Woo dans « Discours aux nomades[...]
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Écrit par
- Jean-Didier WAGNEUR
: critique littéraire à la
N.R.F. et àLibération
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