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PROLÉTAIRES ÉCRIVAINS SCANDINAVES dits

Sans aucun doute, l'apport le plus original de la littérature scandinave, notamment suédoise, aux lettres du xxe siècle, aura été la tendance dite improprement « prolétaire » : autodidacte et étroitement associée à la conjoncture sociopolitique conviendrait mieux. Ce mouvement, sans équivalent ailleurs, ne fut jamais une école à proprement parler ; placé sous l'influence lointaine du Danois Martin Andersen Nexø, il se présenta en deux vagues successives et marqua toutes les littératures scandinaves dans l'entre-deux-guerres, sinon depuis.

Ces écrivains, sortis du peuple et autodidactes (ce dernier point est essentiel) ont choisi l'écriture comme moyen de libération individuelle et collective, leurs ouvrages, à peu près toujours autobiographiques, se voulant, consciemment ou non, exemplaires : ils témoignent en faveur d'un accès à la culture à partir d'une expérience vécue, qui ne passerait pas sous les fourches caudines de l'enseignement traditionnel et qui ne partirait pas nécessairement des présupposés « bourgeois », sociaux et politiques, en vigueur dans ce domaine. Il importe pourtant de les apprécier à leur exacte valeur, c'est-à-dire en fonction de leur milieu national et de leur époque.

Une littérature de l'émancipation

L'impulsion première remonte à l'œuvre du Danois Martin Andersen Nexø (1869-1954), cordonnier formé par les récentes « écoles d'adultes » (folkhøjskoler) danoises. Dans Pellé le Conquérant (1906-1910), il avait démontré que l'avenir appartenait au prolétaire, à l'« homme sobre », symbole de la classe ouvrière qui se trouvait en état de conquérir le monde et d'accéder au bonheur par ses capacités innées, son courage, son sentiment de solidarité avec ses frères. Ditte, fille des hommes (1917-1921) fournissait l'épreuve négative du précédent livre : la société moderne, avec ses injustices, n'hésite pas à sacrifier ceux qui ne savent pas s'opposer à son égoïsme et à son matérialisme triomphant. Ce type d'écrivain avait été qualifié, dès 1906, par le critique suédois Bengt Lidfors, d'arbetarskald (« écrivain prolétaire »). Cela visait des auteurs sortis en effet du milieu prolétaire, qui se seraient personnellement libérés de leur classe. Nexø fournissait des armes à Lidfors lorsqu'il disait de Pellé : « Toi et moi et nous tous [...] nous venons de l'abîme et nous montons pour avoir part au jour nouveau. [...] Nous sommes le prolétaire qui surgit du néant et prend possession de l'avenir. »

En fait, ces œuvres correspondent exactement aux types littéraires du «  roman de formation » (en allemand Bildungsroman), dont le modèle reste le Wilhelm Meister de Goethe (mais évoquons aussi le Martin Eden de Jack London) ou du « roman de développement » (en suédois utvecklingsroman) à la façon de Ma Jeunesse, de Maxime Gorki.

Sur le fond, deux points méritent l'attention : cette tendance correspond exactement au mouvement de démocratisation en profondeur de la société scandinave, dont la coloration bien spécifique remonte à de lointaines racines médiévales et, plus précisément, à l'émergence puis à la victoire de la social-démocratie ; en second lieu, il n'aurait pu se produire sans l'existence ni la mystique propre de l'« école d'adultes » (suédois folkhögskola), cette institution lancée au milieu du xixe siècle par le Danois N. F. S.  Grundtvig (1783-1872) afin d'inculquer aux jeunes gens et aux adultes, indépendamment des chenaux scolaires et universitaires classés, une éducation à la fois spirituelle, nationale et intellectuelle fondée sur la vie et l'expérience pratique.

Cette double incitation pouvait permettre à la fois une « promotion » sociale et la consignation par écrit d'une expérience dont[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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