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EDDAS

Lorsque, en 1643, l'évêque Brynjólfur Sveinsson de Skálholt découvrit en Islande le manuscrit, connu sous le nom de Codex Regius, qui contient les poèmes de l'ancienne Edda, il ne se doutait peut-être pas qu'il venait de mettre la main sur un des textes les plus précieux, non seulement pour les nations germaniques dans leur ensemble, mais aussi pour la connaissance de la civilisation de l'Europe ancienne. Diversité des formes et virtuosité des techniques, variété des registres et des tons, multiplicité des genres, beauté sauvage de la langue, splendeur raffinée des images et des figures : ces poèmes nous livrent un univers étrange et fascinant, une conception originale de l'homme, de la vie et du monde. Sans eux, on saurait peu de chose de la mythologie germanique primitive et de l'éthique nordique ancienne. Sans eux, surtout, on ignorerait l'existence d'une conception du destin qui préfigure curieusement la « gloire » cornélienne. Sans eux, enfin, il manquerait au trésor de la poésie universelle quelques-uns de ses plus beaux fleurons gnomiques, héroïques ou magiques.

« Edda » et « Eddas »

Il faut d'abord s'interroger sur la signification du mot edda : les savants n'ont pu s'accorder sur ce point. Le mot peut provenir du substantif ódr (furor poétique) et signifier tout simplement la « poétique ». Mais il est plus tentant de voir en lui un cas oblique du substantif Oddi, nom du plus brillant centre culturel d'Islande aux xiie et xiiie siècles ; il faudrait considérer alors que c'est en ce lieu qu'ont vu le jour ces poèmes, ou qu'ils y ont été rassemblés et consignés par écrit. Il n'est pas exclu non plus qu'edda ait été fabriqué sur le latin edere (composer de la poésie), l'islandais ayant aussi un kredda (credo) sur le latin credere (croire). Toutefois, le Rígsthula voit en Edda un personnage mythique, l'aïeule symbolique de l'humanité. L'œuvre qui porte ce nom serait donc la mère de toute science, d'autant qu'elle couvre intégralement l'histoire mythique et héroïque du monde, des dieux et des hommes.

De toute manière, il importe d'établir que le terme Edda recouvre deux œuvres bien différentes.

La première est bien connue : entre 1220 et 1240, Snorri Sturluson (mort en 1241), l'un des très grands chefs islandais les plus prestigieux du xiiie siècle et le plus grand écrivain de l'île, « historien », auteur de sagas, poète et pédagogue, entreprend, à l'usage des jeunes scaldes, de composer une sorte de manuel ou de poétique. La poésie scaldique, en effet, ne pouvait exister sans l'utilisation de métaphores extrêmement savantes (kenningar) et de dénominations convenues (heiti), qui impliquaient elles-mêmes, obligatoirement, une connaissance approfondie de la mythologie nordique et germanique ancienne. Or, au xiiie siècle, christianisée depuis quelque deux cents ans, l'Islande était en train d'oublier ses traditions païennes. Au prix d'une affabulation en prose, élégante et colorée, Snorri, après un Prologue où il justifie l'existence des dieux antiques par une explication évhémériste – les dieux ne sont que des hommes divinisés par la tradition –, s'efforce donc d'organiser en un tout cohérent ce que les souvenirs ont pu conserver en fait de cosmogonie et de théogonie antiques : c'est la Gylfaginning (Fascination de Gylfi). Chemin faisant, et selon un procédé qu'il applique constamment d'un bout à l'autre de son œuvre, il cite, intégralement ou en partie, de nombreux poèmes qui survivaient dans la tradition orale. Puis, dans une seconde partie, les Skáldskaparmál (Poétique), il s'attache à justifier, à expliquer les procédés techniques fondamentaux de la poétique scaldique : kenningar et heiti. Enfin,[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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