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DEGAS EDGAR (1834-1917)

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Au temps de l'impressionnisme (1873-1886)

Réaliste ou impressionniste ?

Mélancolie, E. Degas - crédits : AKG-images

Mélancolie, E. Degas

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Degas s'est engagé sans réserve dans l'aventure des expositions impressionnistes, où il vit l'occasion d'imposer sa peinture, moins « impressionniste » d'ailleurs que « naturaliste » ou « réaliste » (ce sont les deux termes qu'il employait de préférence). Il participa ainsi à l'exposition inaugurale de 1874, et, au moment de recruter des participants, il écrivait à Tissot (qui finalement refusa) : « Le mouvement réaliste a besoin de lutter avec d'autres, il est, il existe, il doit se montrer à part. Il doit y avoir un Salon réaliste. » Cette position tranchée portait en germe les querelles qui allaient provoquer par la suite diverses scissions au sein du groupe, scissions dont Degas porta parfois l'entière responsabilité par suite d'un caractère intransigeant et peu commode (mais celui de ses opposants l'était aussi). On ne doit cependant pas oublier les compromis qu'il accepta, et le dévouement dont il fit preuve. Il put satisfaire à cette occasion son goût pour l'expérimentation presque scientifique en matière de présentation et d'accrochage, par exemple dans l'encadrement des tableaux (il détestait les lourds cadres dorés, et fit l'essai de cadres blancs ou multicolores) ou le tissu recouvrant les murs (il choisit du jaune pour ses propres œuvres à l'exposition de 1881), sans parler de son goût pour l'éclairage artificiel, au gaz puis électrique.

Degas et les expositions impressionnistes

Dans un café, E. Degas - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Dans un café, E. Degas

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L'envoi de Degas à l'exposition de 1876, plus audacieux peut-être dans le réalisme et la facture des œuvres qu'en 1874, fut remarqué par la critique, sinon unanimement apprécié. Sa position, presque en marge du mouvement impressionniste, commençait à apparaître. Elle fut davantage soulignée à l'exposition suivante, en 1877, où Degas, pour la première fois, et dans une salle séparée, présentait des monotypes (procédé d'estampe ne permettant d'obtenir que quelques épreuves, l'encre ayant été directement posée sur l'élément d'impression qui n'a été ni creusé ni travaillé) en même temps que des tableaux (dont L'Absinthe, musée d'Orsay, Paris). Il allait accentuer ce rôle de diviseur en faisant passer une clause spéciale dans les statuts de la société qui organisait les expositions impressionnistes depuis 1874, interdisant toute participation à ceux qui enverraient des tableaux au Salon officiel. Or Monet, Cézanne, Renoir avaient alors des projets en ce sens, et les deux derniers, avec Sisley, ne feront pas partie de l'exposition de 1879. Degas, avec Caillebotte et Pissarro, aura néanmoins joué un rôle important dans l'organisation de cette dernière, ranimant les énergies, et proposant comme titre : « Exposition d'un « groupe d'artistes indépendants, réalistes et impressionnistes » (on s'en tint finalement à « Groupe d'artistes indépendants »). Ses vingt toiles et pastels (dont huit portraits), ses cinq éventails reçoivent un accueil critique très favorable. Degas est ainsi devenu, en quelques années, celui des membres du groupe dont la réputation est considérable au-delà du cercle des thuriféraires et des défenseurs habituels de l'impressionnisme, et il en va de même en 1880. Mais l'organisation de l'exposition suivante, en 1881, cristallise les conflits latents depuis un certain temps déjà, essentiellement avec Caillebotte, qui finit par se retirer. Les artistes proches de Degas, c'est-à-dire les réalistes ou les naturalistes, entre autres Mary Cassatt, Jean-Louis Forain, Jean-François Raffaëlli ou Federico Zandomeneghi, étaient ainsi huit sur les treize exposants de 1881. Degas y brillait tout particulièrement par une sculpture en cire teintée pour imiter la chair, habillée de tulle et de soie, la Petite Danseuse de quatorze ans (National Gallery, coll. Paul Mellon, Washington). Avec elle, selon Huysmans, il culbutait du premier coup les traditions de la sculpture comme il avait depuis longtemps secoué celles de la peinture. Aussi le débat tourna-t-il essentiellement, à cette occasion, sur la question du réalisme, et le rapport des impressionnistes avec les écrivains naturalistes. La victoire de Degas au sein du groupe fut toutefois éphémère. Devant les demandes réitérées des autres membres de voir écarter ceux qu'il avait imposés, il refusa à son tour d'exposer en 1882 (alors que Monet, Sisley, Caillebotte, Renoir et même Cézanne y présentaient de nouveau des œuvres). Certes il participa à la dernière exposition impressionniste, en 1886, avec notamment des Modistes et dix pastels intitulés Suite de nus de femmes se baignant, se lavant, se séchant, s'essuyant, se peignant ou se faisant peigner. Mais depuis un certain temps déjà il était de plus en plus à part, sans pour autant avoir rompu toute relation avec ses anciens camarades.

<it>La Petite Danseuse de quatorze ans </it>, E. Degas - crédits : Christie's Images,  Bridgeman Images

La Petite Danseuse de quatorze ans , E. Degas

<it>Le Tub</it>, E. Degas - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Le Tub, E. Degas

Du sujet au style

Toute cette période a été pour lui l'occasion de profonds renouvellements, tant dans le choix des sujets qu'il traite que, surtout, des techniques qu'il emploie. Les premiers ont souvent retenu l'attention des contemporains par le réalisme souvent cru qui s'y manifeste. Degas, en effet, ne s'est pas limité au monde élégant des courses, de l'Opéra ou des intérieurs bourgeois. Les scènes de cafés-concerts introduisent à un milieu plus mêlé, pour ne rien dire des monotypes de maisons closes exécutés en 1876-1877. Certains thèmes sont par eux-mêmes liés à la vie sociale sinon politique de l'époque, comme les séries des Modistes, des Repasseuses ou des Blanchisseuses. D'autres œuvres sont plus directement associées au mouvement naturaliste, comme L'Absinthe ou une série de monotypes, destinés à l'illustration de La Famille Cardinal, suite de romans d'un ami de Degas, Ludovic Halévy. Toutefois c'est peut-être par la manière dont il aborde des sujets plus traditionnels que Degas se montre le plus révolutionnaire. Ainsi sa suite de femmes au bain ne cherche pas à rendre une beauté idéale, mais la vérité instantanée d'un geste ou d'une attitude. Et la Petite Danseuse de quatorze ans devient le « type de l'horreur et de la bestialité », d'une « bestiale effronterie », « fillette à peine pubère, fleurette de ruisseau » au « museau vicieux » selon des critiques de l'époque, Paul Mantz, Henry Trianon ou Jules Claretie, d'ailleurs plutôt favorables à l'œuvre, et qui avaient bien saisi tout ce qu'elle recelait d'allusions à la vie dépravée de certains membres du corps de ballet. Il est vrai que Degas avait favorisé cette lecture en exposant en même temps des Physionomies de criminels, pastels représentant les têtes d'assassins dont le procès venait de défrayer la chronique.

Chez la modiste, E. Degas - crédits : VCG Wilson/ Corbis/ Getty Images

Chez la modiste, E. Degas

<it>Après le bain, femme s'essuyant la nuque</it>, E. Degas - crédits : Josse/ Leemage/ Corbis/ Getty Images

Après le bain, femme s'essuyant la nuque, E. Degas

Cette radicalité se retrouve dans les aspects plus formels de son travail. Degas multiplie les effets de cadrages, parfois directement repris des estampes japonaises, ou les effets de matière, mêlant l'huile au pastel, dont il fait alors une utilisation de plus en plus large. Il continue ses recherches en sculpture, comme l'illustre l'emploi de la cire pour la Petite Danseuse de quatorze ans. Enfin, et ce n'est pas le moins important, il se tourne délibérément vers l'estampe, qu'il avait pratiquée auparavant mais dont il s'était ensuite quelque peu détourné. Deux directions priment ici : l'exploration des possibilités esthétiques offertes par telle ou telle technique, essentiellement la gravure en creux et la pratique du monotype, et celle des possibilités commerciales ou intellectuelles qu'elles ouvrent. Degas avait ainsi pensé à des illustrations de livres, qu'il ne mènera pas à terme, et, en 1879, à une publication illustrée, Le Jour et la Nuit, qui aurait diffusé les idées et les œuvres des impressionnistes. Elle non plus ne paraîtra pas, mais cela n'aura pas empêché l'artiste de se lancer à fond dans l'exécution d'estampes sans cesse reprises ou retravaillées, comme La Sortie du bain (1879-1880), eau-forte et aquatinte, pièce pour laquelle on a répertorié pas moins de vingt-deux états successifs, Mary Cassatt au Louvre-La Galerie de peintures (1879-1880, eau-forte, vernis-mou, aquatinte et pointe sèche, vingt états) ou encore Mary Cassatt au Louvre-La Galerie étrusque (1879-1880, eau-forte, vernis-mou, pointe sèche et aquatinte, neuf états.

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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Médias

<em>La Leçon de danse</em>, E. Degas
 - crédits : Courtesy National Gallery of Art, Washington

La Leçon de danse, E. Degas

L'Orchestre de l'Opéra, E. Degas. - crédits : AKG-images

L'Orchestre de l'Opéra, E. Degas.

La Classe de danse, E. Degas - crédits : Leemage/ Corbis/ Getty Images

La Classe de danse, E. Degas

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