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LEDERER EDGAR (1908-1988)

Les soubresauts du xxe siècle n'ont pas épargné Edgar Lederer, chimiste français né à Vienne le 5 juin 1908. Fuyant l'antisémitisme de la capitale autrichienne où il avait obtenu son doctorat, le jeune homme trouva refuge à Heidelberg en 1930, mais dut quitter l'Allemagne en hâte lors de la venue des nazis au pouvoir en 1933. Réfugié à Paris, il accepta une invitation dans un institut de Leningrad. Son séjour fut à nouveau écourté, par les purges staliniennes. Il revint en France juste à temps pour être mobilisé, puis passa les années d'Occupation à Lyon dans le laboratoire du biochimiste Claude Fromageot (1899-1958), à l'abri de la police de Vichy et de la Milice. Ce n'est qu'à l'âge de trente-six ans qu'il put enfin travailler en paix.

À Heidelberg, dans le laboratoire de Richard Kuhn (1900-1967), Lederer s'était attaché à élucider la structure de la vitamine A. Ce faisant, les deux hommes redécouvraient la chromatographie, qui avait sombré dans l'oubli depuis son invention en 1861 par Friedrich Goppelsröder (1836-1919) – avec pour précurseur Christian Friedrich Schönbein (1799-1868) –, suivi, en 1906, par Mikhaïl Semenovich Tswett (1872-1919), qui nomma cette méthode « chromatographie » et inventa la chromatographie d'élution. Puis, à Leningrad, Lederer découvrit une nouvelle vitamine A, la vitamine A2, extraite de poissons d'eau douce.

Des contacts industriels lui fournirent un soutien matériel durant la période difficile des années 1930-1940. La firme Roure-Bertrand, de Grasse, finança ses travaux sur des ingrédients animaux pour la parfumerie, tels que l'ambre gris et le castoréum. Lederer montra que l'ambréine, une composante de l'ambre gris, est un triterpène, et qu'elle est biosynthétisée à partir du squalène. Firmenich, autre firme de parfumerie, finança ses recherches sur l'essence de jasmin, les sesquiterpènes du géranium bourbon, puis l'arôme du cacao.

Peu après son retour à Paris en 1947, il se mit à étudier les mycobactéries. Le genre Mycobacterium inclut des germes responsables de la peste et de la tuberculose. Avec Jean Asselineau, Lederer commença l'étude des lipides de la paroi cellulaire de ces bactéries. Tous deux établirent que les acides mycoliques en sont des composantes majeures et spécifiques. Lederer étudia les enzymes impliquées dans la production des acides mycoliques, entre autres des méthyltransférases S-méthionine-dépendantes, responsables d'atteintes structurales dans certaines positions cruciales desdits acides. Ces modifications expliquent la virulence du bacille tuberculeux et la perméabilité de la paroi cellullaire des mycobactéries.

La virulence de M. tuberculosis est liée à la formation de cordages serpentins, une morphologie que Robert Koch (1843-1910) avait déjà notée. Le cord factor est un glycolipide de la paroi cellulaire mycobactérienne. Il associe une molécule d'un sucre, le tréhalose, et deux molécules d'acides mycoliques. Ces derniers sont des acides gras très longs, ramifiés, porteurs d'un groupement hydroxy OH en position 3. Leurs masses moléculaires sont extrêmement variables. Lederer s'attacha à dénouer cet écheveau complexe. Seule la mort interrompit ses efforts. Vers la fin de son existence, il découvrait l'activité immunostimulante des cord factors.

À la mort de Fromageot, au début de 1958, Lederer lui succéda comme professeur de biochimie à la Sorbonne, puis dans la toute nouvelle faculté des sciences d'Orsay (aujourd'hui université Paris-XI). Il obtint du C.N.R.S. la construction d'un institut propre, consacré sous sa direction à la chimie des substances naturelles, où il s'installa en décembre 1960. Lederer, conjointement avec l'autre codirecteur, Maurice-Marie Janot (1903-1978), fit de son institut un[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'École polytechnique et à l'université de Liège (Belgique)

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