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MORIN EDGAR (1921- )

La pensée du recommencement

Peut-être pourrait-on compléter aujourd'hui ce portrait du chercheur en le tenant aussi pour l'homme du Nouveau Commencement, en reprenant le titre de l'essai qu'Edgar Morin publiait en 1991 avec Gianluca Bocchi et Mauro Ceruti. Le nouveau commencement, c'est celui du passage de la préhistoire à l'histoire de l'esprit humain, de l'âge de fer à l'âge de l'artisan. C'est le fait ou plutôt la volonté de commencer « une histoire que n'assure plus aucune loi, une ère damocléenne, une pensée écologisée », en nous forgeant quelques méthodes par lesquelles nous « pourrons concevoir un futur d'un type nouveau, certes incertain et fragile, mais porteur d'espérance ». C'est le fait ou plutôt la volonté de commencer une science et une philosophie qui ne fasse plus du progrès une certitude. La construction de l'arche, du chemin qui se fait dans la marche ? Ce projet nous dit peut-être l'entreprise d'Edgar Morin. Atteignant la cinquantaine, au terme d'une année sabbatique au cœur de la Californie des grands renouvellements (l'année 1970, qu'évoquera son Journal de Californie), il va entreprendre une véritable aventure de la pensée que nous pouvons aujourd'hui partager à travers la succession des volumes de La Méthode. Dès 1973, Le Paradigme perdu : la nature humaine ; puis le recueil collectif qu'Edgar Morin éditait, avec Massimo Piattelli-Palmarini à l'initiative de Jacques Monod, L'Unité de l'homme, avaient préparé le terrain : « Il faut cesser de disjoindre nature et culture. » Au prix d'un investissement d'une exceptionnelle ampleur au cœur de toutes les disciplines, Edgar Morin va partir « à la recherche de la méthode [...], le principe organisateur de la connaissance ».

Le concept qui va sans cesse se déployer au fil de cette marche entraînante est celui de système, ou, comme préfère écrire Edgar Morin, d'organisation. La Méthode va poser les fondations du tome I, La Nature de la nature, qui paraît en mai 1977. « L'univers, le cosmos, la matière, la vie, l'esprit, la pensée, la connaissance, les idées relèvent tous de cette énigme intelligible, l'organisation ou mieux, dira Edgar Morin, « l'organis-action », inséparablement organisée et organisante, ordonnante et désordonnée ; l'organisation qui se produit elle-même, ou auto-organisation, et qui ne se comprend qu'en liaison constitutive avec son contexte ; le tourbillon ou le vortex, « auto-éco-organisation », cellule qui s'autonomise par dépendance, qui se nourrit du milieu qu'elle nourrit. Cette conjonction associe irréversiblement le phénomène et sa représentation en permanente transformation, l'observateur-sujet et l'observé-objet, enlacés dans une inextricable interaction. Inextricable et pourtant intelligible par des modélisations qui font concevoir et percevoir, au lieu de décrire de façon présumée objective. De ce tome I jusqu'au tome IV, qui paraît en 1991, le chemin se construit et se transforme en marchant : la nature, la vie, la connaissance, les idées.

Par sa construction même, l'entreprise apparaît sans fin. La Méthode est une « œuvre ouverte », pour reprendre la belle métaphore d'Umberto Eco. Puisqu'il nous faut la définir dans nos catégories culturelles, entendons-la donc comme un solide traité d'épistémologie, ou de « paradigmatologie ». Tel est précisément le sens du tome IV : épistémologie pour le citoyen autant que pour l'ingénieur, épistémologie que ni le chercheur scientifique ni l'enseignant ne devraient ignorer s'ils souhaitent construire leur science avec conscience et leur conscience avec science. Pour les guider dans leur réflexion, la plupart des autres œuvres d'Edgar Morin, celles de l'anthropologue comme celles de l'essayiste[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université d'Aix-Marseille III, directeur du Grasce, C.N.R.S. 935

Classification

Média

Edgar Morin - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Sygma/ Getty Images

Edgar Morin

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