POE EDGAR ALLAN (1809-1849)
Les nouvelles
Les contes de Poe, d’abord regroupés sous divers titres, Tales of the Grotesque and the Arabesque (1840), Tales of Mystery and Imagination(1902), peuvent être répartis en cinq cycles principaux. En premier lieu, un cycle de la cruauté et de la perversité qui regroupe des récits de meurtre et de confession : William Wilson (1840), Le Cœur révélateur (1843), Le Chat noir (1843), Le Démon de la perversité (1845), La Barrique d’amontillado (1846). Dans ces contes dominent l’obsession, les états psychologiques extrêmes, la phobie et la folie criminelle. Le récit est pris en charge par un narrateur non fiable voire mensonger, victime de sa paranoïa ou de ses pulsions, conduit à l’aveu contre son gré (l’esprit de perversité, selon Poe). Dans Le Cœur révélateur, il tue un vieillard sans motif, juste à cause de la taie qui voile son œil et lui donne un regard aveugle. Le motif de l’œil participe ici d’une problématique de l’identité (I / eye). Dans Le Chat noir, le meurtrier, auteur d’une série d’actes violents, est trahi par une confiance excessive en son impunité et dénoncé par le miaulement monstrueux du chat qu’il a enfermé par mégarde près du cadavre de son épouse. La Barrique d’amontillado reprend ce motif dans une histoire de double et de vengeance où Montrésor attire son ennemi Fortunato dans les caves de sa demeure afin de l’emmurer vivant. Le narrateur de William Wilson, persécuté par son double, se tue en transperçant celui-ci de son épée. Dans Le Puits et le pendule (1843), l’Inquisition espagnole utilise divers dispositifs de torture (un pendule, des murs actionnés par un mécanisme qui rétrécit l’espace) pour pousser le narrateur prisonnier au suicide. Dans Le Masque de la mort rouge (1845), l’attitude démiurgique et transgressive du prince Prospero le conduit, en vain, à braver la Mort et le Temps.
Le deuxième cycle, des contes féminins et conjugaux, comporte des récits célèbres : Bérénice (1835), Morella (1835), Ligeia (1838), La Chute de la maison Usher (1839), Eléonora (1842). Tous sont construits sur l’idée d’une relation passionnelle obsessionnelle et fatale entre le protagoniste et une femme – sœur, cousine ou épouse –, incarnation d’une beauté fascinante mais marquée par la maladie et la mort (« mort-dans-la-vie et vie-dans-la-mort »), douée d’un savoir profond et occulte, d’un intellect supérieur et d’une volonté surhumaine qui la fait revenir d’entre les morts. C’est le cas de Madeline Usher ou de la brune Ligeia aux yeux « plus profonds que le puits de Démocrite » qui investit le corps de la blonde Rowena, la seconde épouse, et fait retour dans la vision hallucinée du narrateur. Dans Le Portrait ovale, l’art se révèle mortifère, le peintre transférant sur la toile l’énergie vitale du modèle qui se fige au moment où l’artiste met la dernière touche au tableau. Dans Bérénice, Aegeus le narrateur, fasciné par les dents éclatantes de sa cousine qu’il associe à des « idées », profane sa tombe pour les arracher au cadavre.
La Chute de la maison Usher, l’un des contes les plus aboutis, s'appréhende comme un récit gothique (château, héroïne séquestrée, dégradation de la lignée) comportant des éléments surnaturels (phénomènes insolites, motif du mort-vivant, vampirisme), mais aussi comme l'histoire d'une perturbation des structures mentales et la présentation d'un cas clinique. Cette confrontation de deux systèmes esthétiques antagonistes peut se lire aussi comme une initiation manquée : le narrateur représente la lucidité, la conscience critique, analytique ; Usher incarne une sensibilité exacerbée, un esthétisme dévoyé. C’est le triomphe de la fancy, simple assemblage des éléments du réel sans pouvoir de métamorphose selon William Coleridge, sur l’imagination créatrice. Le récit souligne d'abord[...]
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Écrit par
- Gilles MENEGALDO : professeur émérite à l'université de Poitiers
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