VARÈSE EDGAR (1883-1965)
Maturité et invention
Le 1er avril 1917, dans un concert à la mémoire des morts « de toutes les nations », Varèse dirigea à New York la Messe de requiem de Berlioz et obtint un triomphe. On lui proposa la direction de l'orchestre de Cincinnati. Mais le mépris des convenances que Varèse affichait lui fut fatal. Quand il vint donner le concert « d'essai », il eut l'imprudence de descendre à l'hôtel avec sa compagne qui n'était pas encore sa femme. Malgré le succès du concert, son engagement comme chef d'orchestre permanent lui fut refusé par suite de cet outrage aux mœurs puritaines du pays.
Varèse renonça alors pour toujours au métier de chef d'orchestre et resta exclusivement compositeur. Il voulait tisser sa musique avec « les fibres vivantes de son être », et non en appliquant des principes qu'il trouvait périmés. C'est pourquoi il rejeta d'abord tout système qui, comme le système tempéré, donne des échelles sonores fixes et arbitraires alors qu'il existe tant d'autres possibilités. Comme Berlioz et Debussy, il se lança à leur suite à la recherche du « son pur », et réhabilita le « bruit » qui est, pour lui, un « son en formation ». Au terme de musique il substitua l'expression de « sons organisés » et, enfin, la recherche de sonorités nouvelles l'amena à l'emploi d' instruments non classiques, éventuellement exotiques. Il inventa de nouveaux instruments, en modifia d'autres, pour traduire au plus près sa conception sonore et affiner son langage. Souvent, les œuvres qu'il concevait étaient injouables avec les instruments existants.
Varèse pensait que le son est susceptible de modifications grâce à sa plasticité : résultante de trois composantes – timbre, intensité, hauteur –, il se modifie si l'on modifie l'une d'entre elles. Agissant par des moyens appropriés, d'abord artisanaux puis techniques, Varèse a réussi à transformer un son donné ; musicien-alchimiste, il est le premier à avoir obtenu ce qu'il appelle « la transmutation de la matière sonore ».
Après un séjour de quatre ans en France (1929-1933), où il eut comme élève privilégié André Jolivet, il se réinstalla définitivement à New York. La France, encore une fois, l'avait déçu par son indifférence à ses recherches en musique. Pendant quelques années, il écrivit peu ou pas. Ce fut son temps de silence et de méditation, qu'il passa dans l'Ouest et le Sud américains, en particulier chez les Indiens. Dans ces horizons infinis, il avait l'impression de communier avec le Cosmos, « aura » de la Terre, et il s'imprégnait des « musiques pures des races non encore polluées ». Maître de la matière sonore et maître de ses moyens, il composa ses derniers chefs-d'œuvre : Déserts (1954), le Poème électronique (1958), Nocturnal (non terminé). Ce qui frappe et étonne dans chacune de ces œuvres, c'est, plus que la marque du génie sonore qui s'y manifeste – on pourrait dire que Varèse fait sa musique « avec des sons » et non « avec des notes » –, la continuité de la personnalité et la permanence de la pensée. À partir de Hyperprisme et d'Octandre (1923-1924), en passant par Arcana (1927) pour grand orchestre, Ionisation pour treize percussionnistes (1931), et Densité 21,5 (écrite en 1936 pour inaugurer une flûte en platine dont la densité est indiquée dans le titre), il ne cesse d'explorer le domaine sonore et de proposer, à chaque fois, une recette, qui est une réussite totale, par son organisation. Dès 1921, avec Amériques pour grand orchestre, il parvient à sa perfection et s'y maintient. Si chaque œuvre nouvelle de Varèse a reçu l'accueil agressif d'un public dérouté, elle a laissé sa trace sur la pellicule des événements musicaux du monde ![...]
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Écrit par
- Hilda JOLIVET : femme de lettres
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