ÉDITION DU GÉNOME HUMAIN
La controverse professionnelle
Dans un contexte scientifique aussi trépidant, la communauté internationale des généticiens s’est rapidement interrogée sur la légitimité de mener ou de poursuivre des recherches sur le génome germinal humain. Les premières réactions précèdent la révélation des expériences chinoises. Le 19 mars 2015, l’ISSCR (International Society for Stem Cell Research) rend un avis dans lequel elle appelle à un « moratoire des applications cliniques de l’édition du génome germinal humain » mais non de la recherche, le temps de réfléchir aux risques et aux implications sociales et éthiques de ces expériences. Le même jour, à l’initiative de Jennifer Doudna, l’une des deux inventrices de CRISPR-Cas9, un groupe de dix-huit chercheurs (dont deux Prix Nobel) signe une lettre dans la revue Science favorable à la poursuite des recherches mais « décourageant fortement […] toute application clinique sur l’homme » et demandant la mise en place de groupes de réflexion ouverts à la société civile. Une semaine plus tard, le 26 mars 2015, la revue Nature publie un article intitulé « Don’t edit the human germ line » écrit par cinq généticiens de renom, membres de l’Alliance for Regenerative Medicine, instance regroupant des entreprises du secteur biomédical et des laboratoires universitaires, qui appelle à stopper les expériences (recherche et application thérapeutique) sur l’édition du génome germinal humain et à établir une distinction étanche entre génome somatique (pour lequel les recherches doivent se poursuivre) et génome germinal (concerné par le moratoire).
Le débat est lancé et débouche quelques mois plus tard, après les prises de position d’autres instances professionnelles, sur le sommet international de Washington qui se tient du 1er au 3 décembre 2015 à l’initiative des Académies des sciences états-unienne, britannique et chinoise, les trois pays les plus impliqués dans la recherche en édition du génome. Ce sommet est conçu sur le modèle de la conférence d’Asilomar qui, en 1975, soulevait la question d’un possible moratoire sur les manipulations génétiques, domaine de recherche alors nouveau. Il regroupe des biologistes, des juristes, des spécialistes en bioéthique et quelques représentants de la société civile. À l’issue des débats, une résolution finale est adoptée : les recherches sur l’édition du génome germinal sont justifiées à des fins de connaissance à condition qu’elles ne débouchent pas sur la conception et la naissance de bébés dont le génome aurait été modifié. L’édition germinale à des fins reproductives est jugée « irresponsable », la résolution appelant à poursuivre la recherche scientifique afin d’améliorer la fiabilité des outils et à organiser une vaste réflexion éthique dans le cadre de forums en vue d’établir des normes internationales et d’harmoniser les législations.
Du 28 au 30 avril 2016, un colloque est organisé à Paris par la Fédération européenne des Académies de médecine et les Académies de médecine britannique et française. Bien qu’aucune recommandation officielle ne conclue la réunion, la plupart des communications soulignent la nécessité de poursuivre les expériences sur le génome germinal mais aussi celle de parvenir à un vaste consensus public avant d’envisager toute application thérapeutique à l’homme. Ce type de position est finalement assez ambigu puisque, tout en alertant sur les délicats enjeux de l’édition du génome germinal, on n’en proscrit nullement l’usage.
Le sommet de Washington de 2015 avait marqué un temps fort de la controverse professionnelle. À part quelques interventions ultérieures de grands noms de la génétique internationale, comme celle, publiée en novembre 2017 dans The New England Journal of Medicine, de George Church, généticien à Harvard, s’opposant à tout cadre[...]
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Écrit par
- Jean-Hugues DÉCHAUX : docteur en sociologie, professeur des Universités à l'université Lumière-Lyon-II, chercheur au Centre Max Weber (CNRS Lyon)
Classification
Médias