ÉDITION ÉLECTRONIQUE
Le livre enrichi
Si le livre numérisé essaie de conserver ou d’imiter un certain nombre de caractéristiques du livre papier, le livre dit « enrichi » ou « augmenté » les métamorphose. Constituant d’abord un objet fermé comme le livre dit « homothétique », il est enrichi par du multimédia, de l’hypermédia et du cross-média. Grâce à l’hybridation du texte, de l’image fixe et animée et du son avec des éléments manipulables, il fait appel à plusieurs sens (dont le toucher) et modélise de nouvelles pratiques de lecture.
Expérimenté depuis de nombreuses années dans le champ de la « littérature numérique », le livre enrichi est un produit éditorial émergent, dont les formats, réseaux de commercialisation et publics sont peu stabilisés. Sans doute faut-il que les éditeurs se remettent des déceptions rencontrées avec le CD-ROM culturel. Dès 1994, de premières éditions (Larousse, Ilias, etc.) proposaient sur disquettes des ouvrages classiques, accompagnés d'outils de recherche et parfois d'une documentation iconographique. D'une capacité de stockage supérieure, le CD-ROM a opéré un changement d'échelle. Les encyclopédies électroniques ont été parmi les premières à en exploiter les possibilités. Puis, à partir de 1996, sont apparues des éditions de grands corpus (les œuvres d'Alexandre Dumas, La Comédie humaine, Les Rougon-Macquart, etc.). Le CD-ROM permettait déjà d'ajouter aux textes et aux images fixes des enregistrements sonores et vidéo, ainsi que des animations. L'apparition du DVD, dont les capacités de stockage étaient largement supérieures à celles du CD-ROM, a renforcé cette tendance. À leur conception, ces « ouvrages électroniques » ouvraient des perspectives prometteuses. Des artistes et des créateurs venus d'horizons divers (arts plastiques, vidéo, musique, littérature, bande dessinée, etc.) associaient et croisaient leurs savoir-faire pour imaginer de nouvelles formes d'expression dans des domaines aussi variés que la fiction, la vulgarisation scientifique, la culture ou l'éducation. Mais ces productions parfois audacieuses n’ont pas rencontré le public espéré. Certains éditeurs redoutent aujourd’hui que l’histoire ne se répète avec le livre enrichi.
Lancé dès 1998 aux États-Unis, puis en 2001 en France et en Europe sous le nom d’« e-book », qui désignait à la fois le support « liseuse » ou « tablette » et l’ensemble de documents à lire sur ce support, le livre numérique homothétique ou enrichi constitue aujourd’hui le dernier maillon d'une chaîne éditoriale numérisée depuis longtemps. Si ces productions éditoriales ont longtemps tourné le dos aux nouvelles écritures nées de l'informatique (hypertextes, textes animés, textes en réseau, textes générés), elles déploient aujourd’hui leurs potentiels sur des supports mobiles de plus en plus performants et confortables.
Les grands éditeurs ont commencé à explorer les potentiels du livre enrichi notamment dans le secteur jeunesse, d’une part parce que le livre pour enfant a toujours été plus perméable aux expérimentations graphiques et hybridations fortes entre le texte et l’image, d’autre part parce que la manipulation par divers gestes (cliquer, glisser-déposer, écarter, tapoter…) semble apporter à ces productions numériques une dimension hautement ludique. L’expérimentation du potentiel rhétorique, esthétique et poétique de certaines formes de matérialité du texte numérique, comme l’hyperlien et l’animation dans le secteur du livre pour adulte, reste en revanche largement sous-exploitée, à cause de la méconnaissance des possibles liés à ce nouvel objet, sans doute, mais aussi parce qu’une telle expérimentation réactive la crainte que le texte, mis en concurrence avec des formes faisant appel à d’autres pratiques que la lecture-déchiffrage, puisse perdre son statut d’œuvre[...]
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Écrit par
- Alexandra SAEMMER : professeur des Universités en sciences de l'information et de la communication, université de Paris-VIII
Classification
Médias
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