BURKE EDMUND (1729-1797)
Peu d'ouvrages non romanesques de langue anglaise connurent en leur temps un succès aussi immédiat, vif et étendu que ceux de Burke. Sa Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau, publiée en 1757 et fondant la première opposition systématique du sublime au beau, fut rééditée presque tous les trois ans jusqu'à la fin du xviiie siècle et rapidement traduite en français et en allemand. Mais la gloire de Burke atteint son zénith avec les Réflexions sur la Révolution de France, parues dès novembre 1790 et constituant, pour reprendre les termes de Novalis, un « livre révolutionnaire contre la Révolution ».
Or les études sur Burke ont été récemment renouvelées par l'ouverture des archives des descendants du comte Fitzwilliam et la publication qui s'ensuivit, sous la direction du professeur Copeland, de ce monument qu'est la Correspondance de Burke (1958-1978).Traductions et rééditions témoignent, un peu partout en Europe, d'un regain d'intérêt à l'égard de Burke.
Au-delà de l'impitoyable contempteur de la grande Révolution, au-delà du « vulgaire bourgeois » que dénigrait Marx, on ne cesse de découvrir, soutenu par une éloquence puisée à la source de l'enthousiasme et de la conviction, l'humaniste attentif aux ressorts les plus divers de notre être sensible, le chrétien conscient de la faillibilité de notre nature, le politique soucieux de débusquer la sagesse cachée des préjugés qui nous sont chers, l'homme d'État, enfin, défiant l'éphémère des modes pour ériger la prudence et la douceur en véritables devoirs moraux.
Un homme déchiré
Rien ne prédestinait Burke à devenir membre du Parlement pendant vingt-huit ans et à incarner, au jugement même du jeune Marx, le modèle de l'homme d'État. Comme le rappelle Burke en 1796, « pour être admis à l'honneur de servir [son] pays », il lui fallut « à chaque obstacle » présenter son « passeport » : « ni rangs ni supports » ne parlaient en sa faveur, mais seulement une connaissance approfondie des lois, des coutumes et des intérêts du royaume. Burke n'est pas anglais, mais irlandais ; il n'est pas aristocrate, mais bourgeois, fils d'un procureur à la cour de l'Échiquier ; il bénéficie d'un héritage, mais assez médiocre ; et il a beau recevoir une éducation anglicane, ses grands-parents maternels, chez lesquels il séjourne longtemps, comme sa mère et son épouse, sont catholiques.
Tout en poursuivant ses études de droit à Middle Temple, conformément à l'injonction paternelle, il tente une carrière philosophique et littéraire, publiant coup sur coup Une apologie de la société naturelle, texte ironique, critiquant les théories de Rousseau et de Bolingbroke dans le style même de ce dernier, et la Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau. Les succès obtenus lui permettent alors de passer contrat chez Dodsley pour une revue annuelle des événements historiques, politiques et littéraires, The Annual Register, dont il gardera la direction jusqu'en 1776.
Sa carrière politique s'amorce cependant dès 1759, quand un poste de secrétaire privé lui est offert par W. G. Hamilton, bientôt lord lieutenant d'Irlande. Elle se confirme en 1765, lorsque son nouveau protecteur, le marquis de Rockingham, whigd'appartenance, devient Premier ministre. Grâce au système dit des bourgs pourris, Burke gagne aussitôt un siège au Parlement, qu'il gardera jusqu'en 1794. La démission forcée de Rockingham ne lui nuit pas ; son activité et cette éloquence qui le fit qualifier de « Cicéron anglais » ont trouvé leur sphère.
Cinq « grandes, justes et honorables causes » dominent la vie politique de Burke : non seulement la protection des intérêts de l'Irlande catholique et la défense, en[...]
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Écrit par
- Baldine SAINT GIRONS : maître de conférences en philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
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