Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

HUSSERL EDMUND (1859-1938)

La « fondation platonicienne de la logique »

La question sur le sens et le fondement de la modernité, en laquelle se rassemblent toutes les autres questions de la phénoménologie, s'est d'abord jouée pour Husserl, à l'époque des Logische Untersuchungen (1900), dans une sorte de marginalité indéterminée et précieuse par rapport aux deux disciplines modernes qui seules pouvaient être, ou se prétendre, « compétentes » à l'égard de la logicité en général : la « psychologie » (comme rameau de la science moderne de la nature) et la « théorie de la connaissance » (comme rameau de la science moderne de l'esprit). La chance de la philosophie qui devait s'affermir dans ces recherches, et bientôt saisir son idée sous le terme de « phénoménologie », est certainement que Husserl n'ait pas d'abord été philosophe, mais mathématicien. Une deuxième fois, entre 1891 (Philosophie der Arithmetik) et 1900 (Logische Untersuchungen), s'est vérifié l'oracle pythagoricien que Platon a inscrit au fronton de la métaphysique : « A-géomètre, qu'aucun n'entre ici. »

Ce point de départ dans une science est à comprendre non pas dans le sens d'une subordination du « logique » à l'ordre des sciences, mais bien au contraire comme fondation de toutes les sciences dans le « logique » comme dans leur « possibilité de principe ». C'est ce que Husserl appellera plus tard (dans l'introduction de Formale und transzendentale Logik) la « fondation platonicienne de la logique ». La référence à Platon est ici essentielle, en ce qu'elle marque la différence radicale du travail husserlien par rapport à tout travail philosophique moderne (et qu'en lui par conséquent se montre sous une autre figure encore le « Grec » dans Husserl et sa puissance de décision). La thèse de Husserl est en effet que « le rapport originel entre logique et science s'est inversé d'une manière remarquable dans les temps modernes » (Introduction de Formale und transzendentale Logik). Ce qui signifie que non seulement les mathématiques modernes et les sciences modernes de la nature, mais encore la métaphysique moderne elle-même ne sont que des sciences. Par « science », il faut entendre ici l'« effectuation naïve et immédiate de la raison théorique », c'est-à-dire une « effectuation » du savoir qui s'est coupée de la question sur le « vrai » lui-même et ne vise plus à la radicalité « principielle » dans la compréhension et la justification de soi : qui ne vise plus l'Idée ou le Logos.

C'est au contraire dans la reprise de cette visée platonicienne que Husserl ressaisit la possibilité de la décision philosophique à un niveau inconnu des modernes, qu'il appelle « logique ». « Logique », dans les Recherches logiques, est d'abord à comprendre comme l'adjectif de Logos. C'est secondairement que ces recherches doivent leur titre au fait que la « matière » de leur investigation couvre en effet l'ensemble des domaines que connote, pour nous modernes, et sans que l'unité en apparaisse clairement, un tel titre : des réflexions sur les mathématiques, des réflexions sur les systèmes formels en général, puis des généralités sur les sciences et peut-être aussi des généralités sur la notion même de signification. Des recherches fondamentales ne doivent en effet jamais leur titre (c'est-à-dire à la fois leur validité et leur intitulé) à leur matière, mais à leur ordre et au principe de cet ordre. De là vient que celles de Husserl rassemblent non seulement les matières « logiques » énumérées plus haut, mais aussi, et même surtout, des développements qui, pour nous modernes, relèveraient d'autres disciplines que de notre « logique » et que nous rangerions dans cet arrière-tiroir[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Média

Edmund Husserl - crédits : Keystone-France/ Gamma-Keystone/ Getty Images

Edmund Husserl

Autres références

  • LA CRISE DES SCIENCES EUROPÉENNES ET LA PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE, Edmund Husserl - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 808 mots

    La réflexion ultime d'Edmund Husserl (1859-1938), l'auteur des Méditations cartésiennes et fondateur de la phénoménologie, au moment où l'Allemagne plonge dans le nazisme, porte sur la Krisis, « crise » des sciences qui met en péril son projet propre de philosophie comme...

  • MÉDITATIONS CARTÉSIENNES, Edmund Husserl - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 973 mots

    Les Méditations cartésiennes marquent une étape importante dans l'œuvre d'Edmund Husserl (1859-1938), le créateur de la phénoménologie. C'est d'abord l'un des rares exposés synthétiques et introductifs qu'il ait tenté de cette dernière, la plupart de ses écrits publiés, depuis les...

  • RECHERCHES LOGIQUES, Edmund Husserl - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 956 mots

    La première édition, à Halle, des Recherches logiques (Logische Untersuchungen) date de 1900-1901 et fonde véritablement la phénoménologie, tout comme L'Interprétation des rêves de Freud (1900) fonde la psychanalyse. C'est contre le psychologisme qui, à partir des lectures néo-kantiennes,...

  • AFFECTIVITÉ

    • Écrit par
    • 12 231 mots
    ...passions. Reprenant l'œuvre de Brentano, qui distinguait déjà, parmi les phénomènes psychiques, les représentations, les jugements et les mouvements affectifs, Husserl a été le premier à voir, avant Scheler, dans l'affectivité « une intentionnalité à part entière et non pas un simple épiphénomène » (F. Dastur)....
  • BRENTANO FRANZ (1838-1917)

    • Écrit par
    • 1 612 mots
    Cette conception de la psychologie exercera une influence décisive sur la phénoménologie deHusserl, qui postule une connaissance a priori, fondée sur l'intuition directe des faits de conscience. Brentano apprendra à Husserl que la question descriptive, le « quoi », précède et rend possibles...
  • CARTÉSIANISME

    • Écrit par
    • 1 862 mots
    Le même geste se retrouve, de façon également complexe, avec la phénoménologied'Edmund Husserl (1859-1938), explicitement placée, par une sorte de geste militant, sous le patronage du cartésianisme, comme en témoigne le titre des conférences – Méditations cartésiennes (1931) – faites...
  • CONTINU & DISCRET

    • Écrit par
    • 7 673 mots
    ...cette saisie qui n'en est pas une, la conscience se découvre « flux héraclitéen ». C'est donc un glissement continu, qualifié de la sorte explicitement par Husserl en maint endroit, qui caractérise de la manière la plus essentielle la présentation la plus originaire. On peut aussi repérer, dans le système...
  • Afficher les 55 références