SPENSER EDMUND (1552-1599)
Confluent de la Renaissance
L'œuvre de Spenser est abondante et diverse, car il a cultivé tous les genres mis en honneur sur le Continent. Il s'inspire de Marot et du Mantouan dans ses pastorales, mais il crée, à l'instar de la Pléiade, un langage littéraire nouveau, chargé d'archaïsmes sous l'influence de son maître Chaucer. Si les complaintes sont d'assez pâles imitations de Pétrarque et de Du Bellay, si les sonnets des Amoretti manquent souvent d'originalité, sinon de grâce et de sincérité, si l'éloquence même des Hymnes à l'amour et à la beauté (Fowre Hymnes, 1596) peut paraître conventionnelle, l'inspiration lyrique atteint en Angleterre ses premiers sommets dans le superbe Épithalame et Le Retour de Colin Clout (Colin Clout's Come Home Again, 1591-1595), où le « Berger de l'Océan », sir Walter Raleigh, ouvre l'Arcadie au grand souffle du large.
L'œuvre majeure, La Reine des fées (Faerie Queene), est le confluent des richesses de la Renaissance. Poète anglais et protestant, Spenser entend surpasser l'Arioste et le Tasse en donnant à l'épopée romanesque plus de sérieux moral et plus d'ardeur religieuse. Humaniste, il se propose de « former un gentilhomme » accompli, mais il le revêt des « douze vertus » d'Aristote et de la grâce chrétienne. On ne peut résumer le récit aux histoires enchevêtrées, mais il est possible de définir l'univers spensérien. Univers de la rêverie nostalgique, à la fois fabuleux, féodal et pastoral. Authentique est le regret d'un ordre ancien ou d'une félicité édénique. Authentique est le dépaysement par la rumination du passé ou l'invitation au voyage dans le temps ou dans l'espace, ainsi que sous les mers. Mais le mouvement est ample et lent : processions, défilé de figures statiques, incessante mélodie, sans éclat de voix dramatique, presque sans cri lyrique. Tout appelle la contemplation indolente. Cependant l'univers fabuleux reflète le monde réel : le séjour des Grâces est la colline d'Arlo près de Kilcolman, et la riche tapisserie de la strophe spensérienne accueille les images de la vie quotidienne et rustique, les locutions et les proverbes de la sagesse populaire.
Les contraires s'unissent dans l'œuvre de Spenser sans y créer de contrastes. Ce poète raffiné aime sincèrement la simplicité. Le rêveur aspire au repos, le chrétien à l'immuable, mais l'homme de la Renaissance a le sens profond de la vie, de la fécondité de la nature dont les cycles de mort et de vie conduiront enfin à l'éternité désirée. De même veut-il concilier l'idéalisme moral et les joies sensuelles. Tout est artifice et stérilité dans les images qu'il donne du désir lascif : ainsi le distingue-t-il de l'amour innocent qui est plaisir naturel, qui est source jaillissante de vie dans le seul décor de la nature.
Il est, a-t-on dit, « le plus grand imagier » (Émile Legouis), mais il n'est pas uniquement « le poète du ravissement des sens » (Yeats). Il n'est pas non plus « le Rubens de la poésie anglaise » (Thomas Campbell). S'il cherche déjà les effets de clair-obscur à la manière des peintres baroques, s'il devance les « travellings » de la caméra pour peindre la marche de Guyon dans l'empire souterrain de Mammon, il n'en demeure pas moins que tous ses tableaux sont chargés d'un sens allégorique et que leur inspiration plastique doit plus aux tapisseries, aux vitraux, aux enluminures, aux emblèmes ou aux pageants du xvie siècle anglais qu'aux grands artistes du Continent.
Sans doute Spenser est-il fidèle à l'esprit syncrétique de la Renaissance quand il compose sa philosophie d'idées empruntées au néo-platonisme de Ficin et de Castiglione, au stoïcisme de Sénèque, à l'épicurisme de Lucrèce,[...]
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Écrit par
- Robert ELLRODT : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Autres références
-
ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature
- Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ , Jacques DARRAS , Jean GATTÉGNO , Vanessa GUIGNERY , Christine JORDIS , Ann LECERCLE et Mario PRAZ
- 28 170 mots
- 30 médias
De même que Chaucer, par rapport à Boccace, semblait représenter un retour au Moyen Âge, de même Edmund Spenser par rapport à l'Arioste, auquel La Reine des fées (The Faerie Queene, 1590-1596-1609) doit tant. Le poème de Spenser est tout pénétré d'allégories qui se superposent au poème de...